La presse a mauvaise presse : les Français ont une déplorable opinion des journalistes. Selon un sondage publié dans « La Croix » le 8 janvier 2009, 61% des personnes interrogées estiment que les journalistes ne sont pas indépendants face aux « pressions des partis politiques et du pouvoir ». La raison ? Mes « chers confrères » obéissent trop aux dix commandements suivants.
Sois au service d’une puissance supérieure : Dieu ! Ou Jehovah, Allah, Bouddha. Le job de prosélyte catho est peinard : suffit de recopier les discours des évêques et les bulles papales. Si tu es non-papiste, lorgne vers les chapelles concurrentes, musulmane, bouddhiste, juive. Même principe que chez les cathos : souscrire les yeux fermés à tous les sacrements. Exemple chez les islamistes : la femme est voilée, impure, excisée et pas digne de voter ou de conduire une voiture. Preuve de son infériorité : elle porte rarement la barbe !
Un des freins à la réussite dans la presse est ta conscience professionnelle. Témoin d’un événement, tu as la vanité de vouloir que tes propos soient imprimés et tu n’aimes pas la censure. Comme Jean-François Kahn, laisse agir les ciseaux de ton chef. Jeune reporter en mission au métro Charonne, ratonnade célèbre des flics de Papon, JFK s’est bien gardé de protester quand son chef a caviardé son papier sur ordre du ministère de l’Intérieur. Un journaliste qui veut arriver écrit sous la dictée. La maturité atteinte, il saura s’auto-censurer avant même qu’on le lui demande. La classe !
A peine installé, commence par inspecter les lieux, à savoir l’organigramme. Essaye de repérer où se trouvent les incompétents du dessus. La tactique est simple : scie-leur la branche ! Surtout, jamais de confraternité. L’exemple le plus connu est celui de l’abbé Philippe Val, moraliste trop peu connu, qui s’est empressé de renier son pote Patrick Font, lorsque Font fut accusé de pédophilie, affirmant dans Libération l’avoir à peine fréquenté en dehors des salles de spectacles. Autre ascenseur social : la flaterie. Tu dois « gérer ton carnet d’adresses ». Le procédé est simple : porter aux nues tous ceux que tu veux séduire. Appeler ensuite le confrère : « Je viens de lire ton bouquin, ton article ! Extraordinaire ! Une anthologie ! J’envie ta plume ! ».
Il t’est arrivé, dans ta folle jeunesse, d’admirer des icônes : Mao, Trotsky, Staline, Lénine, Che Guevara, Pol Pot. Et puis tu as vieilli. Tu as mis de l’eau dans tes enthousiasmes adolescents et naïfs. Il est temps de passer « du col Mao au Rotary », comme l’écrivait le regretté Guy Hocquenghem, un des premiers journalistes de Libération. Hier tu titrais, comme l’ex-mao Serge July, dans La cause du peuple : « Patron, salaud, le peuple aura ta peau ». Aujourd’hui, le patron, c’est toi ! Tu dînes en ville avec ton cher actionnaire, l’héritier des Rothschild. Le journalisme mène à tout, à condition de savoir se renier.
Tu dois d’abord te vendre. Ton outil de travail : la brosse à reluire. La méthode est simple : achète un dictionnaire des superlatifs et fais la promo des livres de tes amis et des émissions où l’animateur géniâââl saura t’inviter (Bern, Fogiel, Ardisson, PPDA). La liste des journalistes qui ont accédé à ce statut de vedette est longue. Gloire au meilleur d’entre eux, Alain Duhamel ! Dans une ancienne chronique du Point (25/11/04) consacrée à un livre de Jean Daniel, directeur de l’Obs, ce pigiste concluait : « Le meilleur est pourtant ce qu’il consacre directement à lui-même : ses fiertés, ses amours, ses regrets, voire ses fautes, la frustration aussi de n’être pas reconnu en écrivain qui compte. Là, il se trompe heureusement. Ce statut-là, qui donc le lui conteste aujourd’hui ». Soyez persuadés que Jean Daniel, ainsi élevé au statut d’écrivain à la Camus que les esthètes lui refusent, saura lui renvoyer le cirage !
Le journalisme de terrain est un métier à risques. Tu peux même y perdre la vie en Irak ou à Gaza. Sois prudent : évite les investigations à la Albert Londres ou Florence Aubenas. Limite tes grands reportages aux lieux les plus sûrs, ceux de la jet set : les plages de Saint-Trop’ ou les festivals de cinéma. Et puis, entre nous, qu’est-ce qui intéresse vraiment ton lecteur ? Les maux de ventre des Africains ? Le sort des victimes palestiniennes ? Allons ! Soyons sérieux ! Ce qui passionne le lecteur aujourd’hui, c’est le divorce de Tom Cruise ou le gosse adopté par Johnny.
L’aristocratie du journalisme, c’est le service politique. Naguère, il n’était pas question de copiner avec les politiciens. On pouvait alors commenter leurs décisions. Ce temps est révolu. Les politicards sont des gens comme nous, humains, ils ont la poignée de mains sympathique (Sarkozy), ils savent donner des scoops aux journalistes amis et leur confier discours et plaquettes de com. (Pasqua, Strauss-Kahn). Vous voilà admis dans la grande confrérie des « dîneurs en ville », où vous aurez la chance de rencontrer des bobos ex-contestataires comme Cabu ou le légionnaire Wolinski et de monter les marches du festival de Cannes ! On vous confiera quelques missions vitales : suivre la campagne électorale de Ségolène, accompagner Sarko dans ses voyages. Votre carrière est sur les rails.
Toutes les administrations ou entreprises ont leurs services de communication dont la mission est claire : faire parler de nous !.. C’est là qu’intervient le journaliste professionnel qui se livre à cette activité méconnue : le ménage. Il s’agit d’animer un jour ou deux une table ronde ou un colloque, au service de Mondial Moquette ou du ministère lambda. Des noms ? La plupart des vedettes du PAF, dont Christine Ockrent, la plus connue, qui n’avait pas hésité à ponctionner le budget d’une ONG comme Médecins sans Frontières ! Pour conserver leur carte de presse : les journalistes de ménage se font rétribuer comme « conseils » par des coquilles vides « porteuses ». Quant à faire ensuite leur vrai boulot : informer sur les pratiques délictueuses des entreprises qui leur ont confié un ménage, n’y comptez-pas ! On ne mord pas la main qui vous nourrit.
Au départ, stagiaire, tu donnes la parole aux autres. Puis vient la ride véloce. Tu te découvres aussi intéressant que l’expert, voire plus compétent que lui. Tu es un éditorialiste dans l’âme. Ton rôle est désormais d’éclairer les foules. Tu es Jean Daniel, BHL, Jean-Marie Colombani, Jean-François Kahn, Philippe Tesson, Serge July, Laurent Joffrin ou Philippe Val (de feu Charlie-Hebdo). Tu conseilles aux militaires de bombarder Bagdad ou Belgrade et tu fermes les yeux sur Gaza. Te voilà dans le gotha de la presse. Mieux : si tu es vraiment très gonflé, tu peux te baptiser écrivain, à l’instar d’un BHL, auteur d’une « romanquête » au Pakistan, où il mélangeait les faits et l’imaginaire. Ah, la vision des génies ! L’éditorialiste devient vite le maître des lieux au journal, l’arbitre des trahisons claniques, celui, en externe, que ses confrères citent dans leurs revues de presse. Mélange de Bouvard, Pécuchet et M. Homais, il se présente comme l’égal de Voltaire ou Montaigne et n’est que ridicule !
Tenu au secret professionnel, tu ne dois pas révéler tes sources à la police et à la justice. Un bon conseil : n’attend pas la police ! Donne-lui tout de suite tes sources avant qu’elle ne les demande. Tu gagneras du temps et sera ensuite un accrédité bien renseigné au ministère de l’Intérieur. Ô combien de reporters se sont faits un nom en aidant la police, à l’image de l’ancien trotskyste Edwy Plenel, rédigeant les communiqués d’un syndicat de policiers. Nul doute que ce démocrate vétilleux a pu ainsi se faire des potes dans la rousse et sortir ensuite quelques scoops comme les Irlandais de Vincennes où les rivaux des flics (les gendarmes) étaient mouillés.
Ces banalités de base vont t’ouvrir les portes de la célébrité. La presse n’est pas le quatrième pouvoir. Dans la société du spectacle, elle est désormais le premier.
Les références du dernier § disent assez bien votre situation. Vous êtes certainement FRUSTRÉ de ne pas occuper de place dans la grande famille de l’information officielle, à la tête du journal Le Monde ou de France Culture. Et votre jalousie vise même peut-être le pilier du journalisme en France, la rédaction de TF1, voire pourquoi pas pendant qu’on y est la présentation du JT de 20 h (pas le 13 quand même ?).
Allez, je vous absous. Rendez-vous au prochain billet.