L’écrivain et grand reporter Eric Laurent raconte comment Israël a jadis aidé le colonel Kadhafi à sauver sa peau lorsque sa propre armée complotait contre lui.
J’étais allé à Tel-Aviv pour réaliser un portrait de Meir Amit, un des directeurs « historiques » du Mossad. L’adresse fixée pour le rendez-vous se situait en banlieue et correspondait à une maison d’un étage, plutôt à l’abandon, mais ceinturée d’un petit jardin qui paraissait, lui, soigneusement entretenu. Une femme âgée, au visage autoritaire, fumant une cigarette avait ouvert et, sans même articuler un mot, m’avait désigné de la main une pièce dans l’entrée, totalement vide à l’exception de cinq chaises. Quand elle revint me chercher, je découvris que l’ensemble de la maison était inoccupée et dépourvue d’ameublement, à l’exception du petit bureau de Meir Amit qui jouxtait le sien.
Pendant toute la durée de l’entretien, je l’entendis qui frappait avec vigueur le clavier d’une vieille machine à écrire. Au terme de notre conversation, Amit, regard malicieux, me demanda : « Vous voyagez dans les pays arabes ? » Je lui répondis, « fréquemment », d’ailleurs récemment j’étais en Libye pour réaliser une interview de Kadhafi. À cet instant, la conversation fut interrompue par un appel téléphonique auquel il répondit brièvement avant de raccrocher, puis il me dit : « Un ami avec qui j’avais rendez-vous va nous rejoindre, il a longtemps travaillé avec moi. Attendez avant de poursuivre votre récit, ça devrait l’intéresser. »
Je vis entrer dans la pièce un homme massif et trapu au visage barré d’une épaisse moustache grise. Il ressemblait, en plus jeune, à l’ancien premier ministre Itzhak Shamir. Amit dut lui résumer en hébreu notre conversation car l’homme me demanda d’un ton amusé : « Alors, vous avez vu Kadhafi ? »
« Oui, à plusieurs reprises mais cette fois dans le désert, sous sa tente. Un endroit d’ailleurs difficile à localiser, car tous les panneaux d’indication, sur les routes d’accès, sont camouflés. » En écoutant mes propos, Amit et son ami échangèrent un large sourire ironique, puis l’ancien directeur du Mossad se pencha vers moi.
« Qu’il soit à Tripoli ou sous sa tente, nous sommes toujours en mesure de le localiser. Vous savez… Il marqua un bref silence comme s’il savourait la confidence qu’il allait me faire… à deux reprises, son armée complotait contre lui et se préparait à le renverser. Et il n’était absolument pas au courant. C’est nous qui l’avons alerté et sauvé. Croyez-moi, je sais qu’il ne l’a pas oublié. »