L’Ovalie est entrée dans l’ère du fric facile : gros salaires à l’avant augmentés de 80 % en cinq ans, salaires réduits à l’arrière, chômage à l’ouverture. De quoi perdre son âme en mêlée.
Jackpot pour les vainqueurs du Tournoi des six nations. Les artisans du neuvième Grand Chelem de l’histoire du rugby français retournent à la maison les poches lestées de 75 700 euros chacun. De quoi faire rêver les soutiers d’un sport à deux vitesses dont les écarts salariaux se creusent à la vitesse d’un tampon chabalien.
En cinq ans, la rétribution des internationaux français et des vedettes étrangères du Top 14 a fait un bond de 80%, passant à 320 348 euros par an en moyenne ! Étrangement, le train de vie des joueurs pro de second rang est moins clinquant. Leur rémunération mensuelle moyenne est tombée de 10 000 à 7 500 euros en une saison. Le syndicat des rugbymen Provale cite l’exemple d’un joueur dont le salaire a été divisé par deux, passant de 18 000 à 9 000 euros.
Pire : le chômage enfle. À l’issue de la saison 2008-2009, soixante joueurs professionnels pointaient au Pôle emploi. Trois fois plus qu’il y a trois ans. Un pilier international, Julien Brugnaut,s’est même retrouvé sur le carreau en juin 2009. Avant d’être recruté par le club irlandais du Munster.
Comme il semble loin, le temps béni du rugby cassoulet et des troisièmes mi-temps… Une époque d’avant la professionnalisation, instaurée en 1995, où les amateurs des petits clubs rivalisaient avec les équipes des grandes villes. « Nous sommes des bricoleurs. Mais ça nous motive : c’est intéressant de battre les gros budgets du championnat », plastronnait Jean-Louis Luneau, co-entraîneur du petit poucet Bayonne, à l’aube du « rugbysiness ».
Depuis, les villes moyennes qui ont fait la légende de l’Ovalie (Lourdes, Agen, Tarbes, Béziers) ont été reléguées dans les oubliettes de l’Histoire. « Les dirigeants de la Ligue nationale de rugby sont obsédés par l’argent. Peu importe que Strasbourg ou Lille n’aient aucune tradition rugbystique, seul compte le retour sur investissement », confie un dirigeant du mythique Béziers, onze fois champion de France, aujourd’hui en deuxième division.
Athlètes bodybuildés et sponsorisés de la tête au pied, publicitaires et marketeux omniprésents, fric facile, le rugby est tombé dans les travers de son frère ennemi, le ballon rond. Ex-commentateur des matchs du XV tricolore sur France 2, Pierre Salviac fustige l’évolution de sa chère Ovalie : « On a copié le modèle du foot tout en construisant une économie de smicards, avec tous les dégâts collatéraux liés au professionnalisme. Résultat : ce sport, autrefois singulier, est en train de perdre complètement son identité ! » Simple et direct, comme un placage standard !
A lire sur Bakchich.info :