Xavier Beauvois revient sur le massacre des moines de Tibhirine. Une communion cinématographique, Grand Prix du festival de Cannes. Un film qui a la grâce.
Des moines sont assis autour d’une table et partagent leur dernier repas. L’un d’entre eux, incarné par Lambert Wilson, met une cassette audio. Le Lac des cygnes retentit. Nous sommes vers la fin du film de Xavier Beauvois et cette séquence s’inscrit parmi les plus belles de l’histoire du cinéma. Un moment d’anthologie, en apesanteur. C’est la première fois que l’on entend de la musique dans le film. Alors que, jusqu’alors, Beauvois avait privilégié les plans moyens ou larges, sa caméra se rapproche des visages. Commence alors une série de travellings sur les moines, en passe de prendre la décision de leur vie. La caméra zoome de plus en plus, scrute les regards, révèle les âmes. Beauvois risque tout, étire la séquence, le lyrisme de Tchaïkovski irradie la pellicule et, soudain, des larmes perlent et inondent vos joues. C’est beau comme du Pasolini ou du Pialat.
"Des hommes et des dieux" raconte bien sûr l’histoire des moines de Tibhirine, enlevés en mars 1996 puis décapités. L’action se déroule plusieurs mois avant leur disparition alors que l’Algérie est en pleine guerre civile. À l’époque, le Groupe islamique armé a ordonné à tous les étrangers de quitter le pays. Pourquoi ces religieux français, terrifiés et démunis, sont-ils restés accrochés à leur chapelle, acceptant le martyre ?
Pour son cinquième film en dix-huit ans, Xavier Beauvois signe son chef-d’œuvre. Parti en Algérie il y a cinq ans pour un autre film, il s’attaque à la tragédie de Tibhirine. Il refuse le spectaculaire, filme le mystère de la foi et, surtout, le quotidien des moines cisterciens, plongés dans le silence et la contemplation, mais aux prises avec la vie. Entre deux communions par le chant, ces moines ensemencent les champs, soignent les pauvres… C’est simple. C’est beau. Le film est tourné de leur point de vue, avec des plans fixes, épurés. Une fois ou deux, Beauvois lève sa caméra vers le ciel, et c’est tout simplement miraculeux.
"Des hommes et des dieux" est un des plus beaux films de ces dernières années, justement primé à Cannes, un de ceux qui vous brûlent la rétine, qui vous marquent au fer rouge. Beauvois est un immense cinéaste. À la sortie, j’avais simplement envie de le serrer sur mon cœur.