Quand Guetta et Lacouture échangent sur la nature du communisme, il y a forcément un perdant. Désolé Bernard.
Le titre est prétentieux : Le monde est mon métier, la forme banale : une conversation entre Bernard Guetta et Jean Lacouture, deux vieux héros de la vie médiatique française. Bernard Guetta, l’homme de centre gauche qui explique le monde tel qu’il devrait être, tous les matins sur France Inter, est un ancien trotskiste converti au marché. Ce n’est donc pas du tout un marginal dans cette profession qui en compte beaucoup. Il a vieilli, et avec le temps est devenu un bourgeois qui a du mal s’assumer. « Sans milieu social », il a su très tôt comment « acheter un délégué syndical ». Son grand père, un industriel, lui a appris. Jean Lacouture, plus policé, est un bourgeois qui s’est engagé dans la décolonisation. Un engagement sans violence, presque distant, désincarné. Quelquefois acteur, très souvent journaliste, toujours progressivement, lentement. « L’indépendance dans l’interdépendance ». Donc, rien de nouveau.
Et pourtant ! Le contenu est intéressant car il parle autrement du communisme. Et là, le livre prend tout son sens. Il va à contre courant de l’idée que l’on attend. Bernard Guetta, l’ex-trotskiste, l’homme de gauche, l’ancien du Nouvel Observateur, condamne définitivement, sans nuance, sans regret, sans aucune humanité, cette idéologie. Les mots sont violents. Barbarie, Etat policier, répressif, brutal et antisémite, tout est dit. Même lorsque son compagnon lui demande s’il ne confond pas communisme et stalinisme, il continue sur sa lancée. Il enfonce de Beauvoir, louange Jean d’Ormesson. Dés les premières pages de l’ouvrage, il dit sa peur de la furie révolutionnaire. La chute du communiste a été son combat. Il l’a gagné, presque seul, semble-t-il. La chute du mur de Berlin, c’est lui. Il lui reste l’Europe. C’est plus difficile.
Et puis, il y a Jean Lacouture. Plus vieux, plus humain, moins caricatural, éduqué par les Jésuites. Ce bourgeois assumé est plus circonspect. Il remet les engagements des uns et des autres dans leur contexte historique. Il donne à Giap – le héros de Dien Bien Phu – de l’humanité, aux communistes leurs engagements dans la résistance, avoue même que certains l’ont fasciné. Et que de Gaulle, leur héros commun, à certains moments, a eu plus peur des Américains que des communistes.
Voilà un livre qui s’ouvre avec circonspection, tant les jeux semblent faits. Il se referme sur la constatation, amère, que la formation des Jésuites est plus humaine et plus sympathique que celle des trotskistes.