Les salles art et essai représentent la moitié des cinémas en France. Or ces salles, qui se battent pour diffuser un large éventail de films venant du monde entier, se heurtent à l’offensive des grands groupes comme UGC ou Gaumont, qui multiplient les attaques et, surtout, à l’instauration de cartes de cinéma illimitées. L’enquête de « Bakchich ».
Entre les grands réseaux et les petites salles, la bagarre est presque caricaturale. En situation de domination depuis la création et l’extension des cartes illimitées - les grands circuits réalisent 51,9% des recettes alors qu’ils ne disposent que de 7% des établissements -, certaines chaînes de cinéma n’hésitent plus à attaquer en justice les petites salles municipales ou les cinémas privés indépendants lorsque ceux-ci se trouvent dans leur périmètre.
Ainsi ces derniers mois, UGC a attaqué quatre salles ou projets de création différents : à Lyon (le Comoedia), à Epinal, à Noisy-le-Grand et à Montreuil (le Méliès). Autant d’avertissements lancés aux rivaux des grands groupes. Au-delà des recours juridiques, une bataille s’est engagée sur le terrain entre grands circuits et salles art et essai avec la profonde modification du secteur ces dernières années.
Outre la création dans les années 2000 des multiplexes, ces gros complexes de cinéma comportant une dizaine de salles, le phénomène des cartes illimitées, qui existent depuis 2001, a pris une ampleur particulière depuis septembre dernier. La chaîne de cinémas MK2, qui appartient à Marin Karmitz et qui diffuse de nombreux films art et essai, a rejoint le groupe UGC en offrant aux spectateurs la possibilité d’aller au cinéma autant de fois qu’ils le souhaitent pour 19,80 euros par mois. A Paris, UGC et MK2 disposent d’un net avantage puisqu’à eux deux, ils disposent de 55% des écrans.
Le succès de la carte laisse une marge de manœuvre réduite aux indépendants qui ne récoltent plus que les miettes d’UGC et de MK2. Et il revient aux distributeurs la lourde responsabilité d’arbitrer et de contenter tout le monde. Une tâche difficile car ils ne veulent pas décevoir les cinémas indépendants de grande envergure puisque leur film y fera des entrées. Mais ils ne peuvent pas non plus se passer d’UGC ou de MK2. « On est en permanence en train d’arbitrer à qui on donne la copie », témoigne le distributeur Martin Bidou de chez Haut-et-Court. « Il peut y avoir des tractations à n’en plus finir. Dès qu’il y a un film art et essai porteur (Woody Allen, Ken Loach…), cela pose problème, en particulier dans le Quartier Latin ».
L’arrivée des cartes illimitées (UGC-MK2, Gaumont-Pathé) a eu des conséquences désastreuses sur les petits cinémas. Après avoir constaté une baisse de la fréquentation très forte, de nombreux directeurs de cinémas indépendants ont décidé d’adopter le système des cartes illimitées, une initiative possible grâce à la loi Tasca de 2001. Il y a cependant un effet pervers : celui de cautionner le système.
Certains cinémas indépendants parisiens, peu nombreux toutefois à avoir résisté à la pression des grands circuits, ont ainsi choisi de ne pas accepter ce moyen de paiement. « Ma décision de ne pas prendre la carte est un choix politique. La question ne se pose pas, il s’agit de défendre une certaine vision de la culture. Cela peut nous priver de certains spectateurs mais on défend l’idée qu’une salle indépendante peut vivre sans courber l’échine », témoigne Florent Fourcard, coordinateur cinéma au Lucernaire dans le 6e arrondissement de Paris.
Tout le monde n’est pourtant pas de cet avis. Isabelle Gibbal-Hardy, directrice du cinéma Grand-Action dans le Ve arrondissement, avoue ne pas avoir eu de problème à accepter les cartes illimitées. « On fortifie le système en ne prenant pas les cartes. Si on n’accepte pas ce système de paiement, les spectateurs vont chez UGC ou MK2. Les cartes illimitées font partie de l’évolution globale du marketing de la société. Pourquoi cela ne concernerait-il pas les cinémas ? »
L’inquiétude demeure cependant. Le manque de transparence du système des cartes et le changement dans la rétribution des distributeurs et des auteurs y sont pour beaucoup. « Il n’y a plus de lien direct entre ce que paie le spectateur et la remontée de recettes », explique Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès et professeur de cinéma à l’université Paris 1,« le spectateur paie l’abonnement mais s’il ne va jamais au cinéma, l’argent ne sera pas redistribué au cinéma, il ira juste dans la poche du circuit ».
L’idée d’une carte illimitée qui réunirait toutes les salles indépendantes entre elles a été proposée par Jean-Jacques Schpoliansky, directeur du cinéma Le Balzac sur les Champs-Elysées,avant que les grands circuits ne sortent les leurs. « Maintenant c’est trop tard », soupire-t-il. Le monde des petits exploitants,très individualiste, de tradition petit commerçant n’a pas su aller au-delà d’une solidarité affichée. Les grands circuits ont su en jouer et associer des petits à leur action pour diviser les rangs.
A ce manque de solidarité s’ajoute l’imminent passage au numérique qui risque de créer une fracture de plus entre grands circuits, ayant les moyens de s’équiper, et ceux pour qui ce sera plus difficile. « Ma mission n’est pas de faire que les cinémas indépendants aient le droit de vivre ad vitam aeternam ! », s’exclame le dirigeant d’un grand circuit. « Si encore nous étions dans un marché florissant, qui croît de 10% par an, nous pourrions dire à ce titre : laissons-les vivre. Or, ce n’est pas le cas : le marché a perdu 20 millions d’entrées par rapport à 2004… Dès l’instant où le marché est tendu, il est naturel que la concurrence s’aiguise. »
Cette concurrence accrue pour attirer les spectateurs s’explique aussi par une indifférenciation généralisée des salles. Il y a de plus en plus de films art et essai dans les grands circuits, en particulier UGC, alors que les salles municipales et indépendantes diffusent aussi un certain nombre d’œuvres populaires. D’où une situation de conflits latents. « Moi je considère que c’est dans l’intérêt du marché d’élargir l’offre, parce qu’elle élargit la demande », affirme le directeur d’un gros circuit, « mais cette politique-là vient gêner un certain nombre de gens qui prétendent avoir un monopole sur les films art et essai ».
Mais, selon Stéphane Goudet, directeur du cinéma Le Méliès et professeur de cinéma à l’université Paris 1, UGC et les salles subventionnées ne font pas le même travail. « Les salles UGC ne sont pas des salles art et essai ! La classification du CNC répond à des critères précis de programmation mais aussi de rencontres, d’accompagnement des films. Dans les UGC, les débats sont pitoyables et il y a très peu de travail pédagogique autour du cinéma ».
Pourtant, 40% de la population française ne va jamais au cinéma et il n’y a pas de politique culturelle de formation des spectateurs, notamment du jeune public. « Il y a des choses sur lesquelles on peut travailler et se battre », poursuit-il. « Les salles art et essai ont souvent la même programmation. Si originalité il y a c’est peut-être dans le travail d’accompagnement des films ». Une chance de se démarquer véritablement des grands circuits et de faire revenir le public dans les salles.
voila : il y a peu, une amie me disait ceci : sais tu que lorsque tu vas au ciné, tu paies dans le pris du billet des courts métrages que tu ne vois jamais ? c’est très plausible, que nous subissions jusqu’à 20 minutes de pub au gaumont : lorsque je suis alleé voir la graine et le mulet, je fulminais de colère ! Alors d’accord un peu de pub, mais pour utiliser notre cerveau à la place d’un court…. faire du court metrage revient à entretenir des musée ethnologiques !
il conviendrait d’informer plus amplement les "clients" cinema qu’on les prive d’un autre espace que celui de la pub primo, et secondo, de la découverte, et c’est pas çà la culture dans les grandes salles (surtout pour le public qui n’est pas déjà acquis).
Alors qui veut apporter plus d’infos ? et que peut t on faire ?
Bonjour,permettez-moi une précision d’importance :
« Les salles art et essai ont souvent la même programmation. Si originalité il y a c’est peut-être dans le travail d’accompagnement des films ».
Oui, sauf que le film est généralement en VO sous titrée et donc l’atmosphère du sujet est mieux préservé.
Les grands groupes ne laissent pas aller le morceau facilement ; même là où la concurrence ne les atteint pas. En d’autres pays le problème est le même et la lutte est féroce pour la survie du cinéma d’auteur. Les temps deviennent de plus en plus dur pour qui veut respirer hors de la norme hollywoodienne. Comme en d’autres domaines, c’est dans le village global qu’il y a menace au formatage des activités culturelles…
http://www.ledevoir.com/2008/04/01/183063.html