Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République à propos de son discours du 2 décembre 2008 à l’hôpital Erasme d’Antony concernant une réforme de l’hospitalisation en psychiatrie.
Etampes, le 8 décembre 2008
Monsieur le Président,
Eluard écrit dans Souvenirs de la Maison des Fous, « ma souffrance est souillée ».
Après le meurtre de Grenoble, votre impatience à répondre dans l’instant à l’aspiration au pire, qu’il vaudrait mieux laisser dormir en chacun d’entre nous, et que vous avez semble t-il tant de difficulté à contenir, vous a amené, dans votre discours du 2 décembre à l’hôpital Erasme d’Antony, à souiller la souffrance de nos patients.
Le mardi 2 décembre 2008
EPS ERASME – Antony
Madame la Ministre, Chère Roselyne, Monsieur le Président du Conseil Général, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le Préfet, c’est la première fois, qu’un Président de la République rend visite au personnel d’un hôpital psychiatrique.
Je n’en tire aucune fierté personnelle, je considère qu’en faisant cela je ne fais que mon devoir. Parce que vous accomplissez chaque jour une œuvre remarquable au service de la société et si vous n’étiez pas là, bien peu nombreux seraient les volontaires pour prendre votre travail. Vous travaillez dans un environnement rude pour prendre en charge des patients qui ne peuvent pas toujours accepter les soins. Votre rôle est de guérir les maux de l’âme, les souffrances mentales qui sont sans doute les plus mystérieuses et les plus difficiles à traiter. Vos moyens d’agir ce ne sont pas les IRM, les blocs opératoires, les prothèses, ce sont vos paroles, votre savoir faire dans la relation avec le patient, les médicaments aussi. Votre exercice professionnel et votre pratique sont à la fois riches et complexes, votre métier j’en suis conscient comporte des risques, votre travail vous apporte de grandes satisfactions quand un malade va mieux, mais il y a aussi l’agressivité, la violence, les réadmissions fréquentes de tous ces patients dont vous vous demandez si leur place est bien ici. Je comprends fort bien que certains jours les métiers vous pèsent et ce jour là quand vous ressentez ce poids a vous pèse, vous devez aller puiser dans l’amour de votre travail la solidarité de vos collègues la force de continuer.
Médecins, Psychologues, Infirmiers, Aides soignants, agents de services, personnels administratifs en milieu psychiatrique, il n’y a aucune raison de cacher votre métier, vous êtes indispensables à la société, le rôle du chef de l’Etat, c’était d’abord de dire aux Français, regardez ces professions dont nous avons besoin.
De tous les soignants, vous êtes sans doute ceux qui connaissent le plus intimement vos patients, vous prodiguez des soins au long cours, à des personnes qui pour guérir doivent pouvoir s’ouvrir à vous et aux autres. Etablir une relation personnelle entre vos patients et vous, c’est la clé. Et c’est ce qui fait l’exigence de votre rôle et c’est ce qui fait sa noblesse. J’ai voulu vous rendre hommage. Rendre hommage à vous les personnels de l’hôpital psychiatrique qui fait finalement peu parler de lui, l’hôpital psychiatrique qui est souvent incompris, hôpital psychiatrique qui est rarement reconnu.
Et je vois que lorsque l’on parle des établissements d’excellence, on parle bien souvent d’autres établissements que des vôtres. Et comme notre société a besoin de vous, nous devons nous engager à ce que vos établissements soient connus autrement qu’à l’occasion de faits divers qui mettent en cause des patients qui vous sont confiés.
Alors à mes yeux, ces faits divers ne remettent nullement en question votre compétence, votre dévouement et les services que vous rendez à la société. Mais ces faits divers doivent nous interroger, tous, sur les lacunes que notre système peut révéler de notre organisation et de fonctionnement et de la prise en charge surtout lorsque des drames ne peuvent pas être imputés à la seule fatalité. La fatalité, c’est vraiment la maladie de notre temps que de tout expliquer par la fatalité. Tout : la crise, les problèmes. NON c’est trop simple, on ne peut pas simplement dire c’est la fatalité, ou alors pourquoi être Responsable.
Vous vous souvenez tous du meurtre dont on parlait il y a quelques instants, commis il y a quelques semaines à Grenoble sur une personne de 26 ans, par un malade qui avait fugué de l’hôpital psychiatrique de St Egrève. Je veux adresser mes pensées à la famille de ce jeune homme et vous dire que j’ai été choqué par cette affaire.
Voici une personne, je veux dire le futur meurtrier, qui avait déjà commis plusieurs agressions très graves dans les murs et hors les murs. Et voici une personne éminemment dangereuse qui bénéficiait pourtant de deux sorties d’essai par semaine. J’entends dire que rien n’indiquait que cette personne pouvait à nouveau passer à l’acte. ET que rien n’avait été fait pour renforcer sa surveillance. J’ai été choqué de ne pas entendre beaucoup de mots pour la famille de la victime. Entendons nous bien, la place des malades n’est pas en prison. Si on est malade on va à l’hôpital. Et je trouve injuste la façon dont on parle, ou plutôt dont on ne parle pas des hôpitaux psychiatriques.
Mon propos n’est pas de dire que la seule solution est l’enfermement, surtout l’enfermement à vie. Mon propos n’est pas de dire que seule compte les risques pour la société et le cas particulier du malade et vous êtes du côté du malade. Mais si vous ne l’étiez pas qui le serait. C’est normal. C’est le rôle des praticiens, de connaître de façon inconditionnelle le malade et sa guérison. Mais je ne peux pas, Moi, me mettre sur le même plan, la Ministre ne peut pas se mettre sur le même plan. C’est dans la rencontre de nos deux responsabilités que l’on trouvera le bon équilibre. Un schizophrène est avant toute considération, une personne malade.
Et je mesure l’apport extraordinaire de la Psychiatrie à la Médecine d’aujourd’hui et la singularité de votre mission. Il faut trouver un équilibre, que nous n’avons pas trouvé, entre la réinsertion du patient absolument nécessaire et la protection de la société. Dire cela ce n’est bafouer personne. Mon devoir c’est de Protéger notre société et nos compatriotes, de la même façon que les personnels car vous êtes les premiers au contact de cette menace éruptive, imprévisible et soudaine. L’espérance, parfois, ténue d’un retour à la vie normale, j’ose le dire ici, ne peut pas primer en toute circonstance sur la protection de nos concitoyens. Mettez-vous aussi à ma place, je dois répondre à l’interrogation des familles, des victimes que je reçois. Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte. Et vous savez bien mieux que moi que des patients dont l’état s’est stabilisé pendant un certain temps peuvent soudainement redevenir dangeureux. Alors cela pose la question des moyens. Il faut plus de sécurité et de protection dans les hôpitaux psychiatriques. Cette protection nous vous la devons d’abord à vous qui êtes en première ligne, aux familles, parce que les familles ce sont les premières à porter le risque quotidien de la dangerosité. Je souhaite que plusieurs mesures soient mises en œuvre à cette fin. Nous allons d’abord, Chère Roselyne Bachelot, réaliser un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques et la Ministre de la Santé a dégagé 30 millions d’euros. Ces investissements serviront à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements et à prévenir les fugues.
Quand un patient hospitalisé d’office sort du périmètre autorisé par son médecin, l’équipe soignante doit en être informée tout de suite. Certains patients hospitalisés sans leur consentement seront équipés d’un dispositif de géolocalisation qui si cela se produit déclenchera automatiquement une alerte. Ce système est déjà utilisé à l’hôpital, par exemple dans les unités qui soignent des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, ce qui permettra de rassurer et d’alléger votre tâche.
Par ailleurs, une unité fermée va être installée dans chaque établissement qui le nécessite. Ces unités seront équipées de système de vidéo-surveillance pour que les allées et venues y soient contrôlées. Moi, vous savez je suis allé à Pau à la suite du drame qui s’est passé avec une de vos collègues, c’est de l’extérieur que l’on est venu la chercher de façon particulièrement délibérée. Enfin nous allons aménager 200 chambres d’isolement. Ces chambres à la sécurité renforcée seront destinées aux patients qui pourront avoir des accès de violence envers le personnel. La création d’unités fermées et de chambres d’isolement supplémentaires est une mesure dont je veux souligner l’importance. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que certaines personnes malades sont plus agressives que d’autres, que certains patients ne sont pas pour l’hospitalisation conventionnelle sans pour autant relever de malades difficiles. Il manque entre les deux une prise en charge intermédiaire et c’est précisément ce vide que viendront combler les unités fermées et les chambres d’isolement. Pour les malades plus difficiles, nous allons là aussi renforcer le dispositif de prise en charge : 4 unités supplémentaires pour malades difficiles de 40 lits chacune vont être créées. C’est une mesure qui doit permettre au personnel de travailler dans les conditions les plus appropriées à la spécificité de certains malades. C’est 40 millions d’euros d’investissement et 22 millions d’euros de fonctionnement en plus, car naturellement il faut le personnel qui va avec ces nouvelles places. L’Etat investira 70 millions d’euros : 30 pour la sécurisation de vos établissements, 40 pour les unités pour malades difficiles et je souhaite que l’on aille plus loin.
J’ai annoncé une réforme sanitaire de l’hospitalisation d’office. J’ai bien conscience que ce sont des sujets qu’il n’est pas raisonnable pour un Président de la République d’évoquer. M’a-t-on dit, pourquoi vas-tu te mettre là-dedans, tout le monde s’est cassé les dents. Je vais me mettre là-dedans, car cela est indispensable. Et justement parce que c’est difficile c’est mon rôle d’y aller et pas de me cacher et de fuir les problèmes difficiles. Le drame de Grenoble ne doit pas se reproduire. J’ai donc demandé à Roselyne Bachelot, qui a toute ma confiance, de préparer un projet de loi. Alors vous me direz que le placement d’office ne concerne que 13 % des hospitalisations. Mais c’est celles qui exigent le plus de précautions. C’est les plus difficiles. Et là je pense encore qu’un meilleur équilibre entre la réinsertion absolument nécessaire et la sécurité, est nécessaire. Entre le tout angélique et le tout sécuritaire est-ce qu’on ne peut pas se mettre autour d’une table pour trouver le bon équilibre ? Raisonnable entre gens de bon sens. Il faut réformer l’HO pour concilier la qualité des soins et la sécurité des personnes. Alors nous allons d’abord instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique. 80% de vos patients sont pris en charge en ville, de même qu’il existe l’hospitalisation sans consentement, il faut qu’il y ait des soins ambulatoires sans consentement. C’est l’intérêt même du patient et de sa famille. L’obligation de soins doit être effective, même en cas d’absence ou de défaut de la famille. On ne peut pas laisser seul un patient qui a un besoin manifeste de soins et qui peut parfois refuser de s’y soumettre. Je connais bien le principe : nul ne peut être soigné sans son consentement. Faut-il encore que son consentement soit lucide ? Vaste débat me direz-vous, mais enfin moi, j’ai des obligations de résultats vis-à-vis de la société. Peut-on laisser des gens qui ont besoin d’être soignés sans être soignés simplement pour la liberté qu’ils peuvent avoir de se détruire ? C’est un vaste débat. Ayons ce débat !
Moi je pense que c’est de la non-assistance à personne en danger. Mais, j’accepte bien volontiers que l’on en discute, mais discutons-en vraiment ! Allons jusqu’au bout de la discussion. Les sorties de patients absolument indispensables doivent être davantage encadrées. La décision d’autoriser une personne hospitalisée d’office à sortir de son établissement ne peut pas être prise à la légère. Je ne dis pas qu’elle est prise à la légère. Mais enfin peut-on … (soupir de l’assistance) non non non non ! vous savez vous avez des convictions, j’en ai aussi. Et si j’ai envie de dire les choses et de ne pas aller 1 mm de plus, je n’irai pas. Je dis que la décision de sortie est une décision que l’on ne peut pas prendre à la légère. Elle ne l’est pas prise ? Tant mieux ! C’est une décision qui est lourde de conséquences. Je réfléchis à un système où le préfet doit prendre ses responsabilités. Pourquoi le préfet ? En tant que représentant de l’Etat. En matière de sortie d’essai ou définitive, il doit y avoir un avis rendu par un collège de 3 soignants : le psychiatre qui suit le patient, le cadre infirmier qui connaît la personne, ses habitudes, et un psychiatre qui ne suit pas le patient et les psychiatres libéraux doivent pouvoir en faire partie. L’exercice collégial est la clé de la réforme. Mais, autant l’avis des experts est indispensable mais je veux poser la question, les experts et vous êtes des experts, donnent leur avis, mais la décision ce doit être l’état ou dans certains cas, la justice. Pas l’expert. Je ne suis pas pour une société d’expert. Parce que c’est trop simple. Les experts en comptabilité, les experts en batiments, les experts en médecine, les experts toujours.
Mais il y a un Etat, une justice qui doivent faire l’équilibre entre des intérêts contradictoires et des points de vue contradictoires et le praticien doit pouvoir donner son avis de praticien : à son avis cette personne est capable de sortir et en a besoin pour être soigné et Ce jugement là, Cette conviction là est parfaitement nécessaire et respectable mais il faut qu’elle soit confrontée à un autre jugement, celui de celui qui a à garantir l’ordre public et la sécurité des autres. Et c’est dans la rencontre entre ces deux points de vue, celui qui soigne le patient et celui qui a la charge de l’ordre public que l’on peut trouver le bon équilibre. Et le Préfet est là pour représenter l’Etat. Moi, je ne veux plus que des Préfets décident de façon aveugle, pardon, automatique et après quand il y a un drame chacun se renvoie la responsabilité et au fond trop de responsables tuent la responsabilité. Je veux qu’ils engagent leur responsabilité en connaissance de cause. Enfin le gouvernement s’assurera que les informations administratives sur les hospitalisations d’office soient partagées entre tous les départements avec un secret médical respecté de la façon la plus stricte.
Je voudrais en terminant, vous dire que l’hôpital psychiatrique c’est à mes yeux, d’abord et avant tout, un Hôpital. Il faut une grande ambition pour nos hôpitaux psychiatriques qui doivent être considérés comme une composante à part entière du service public de l’hospitalisation. Je souhaite que vous soyez mieux concernés par la réforme de l’hôpital et mieux impliqués dans sa mise en œuvre. Cette réforme est aussi faite pour vous. Et si la question de l’organisation des ressources de l’hôpital psychiatrique se pose, alors nous devons, avec notre Ministre la poser sans tabou. Et c’est pour moi une priorité.
Grâce au Plan Santé Mentale 2005-2008, les moyens de fonctionner du secteur public ont progressé d’un peu plus d’1 milliard d’euros entre 2004 et 2008. 3000 postes de médecins et de soignants ont été créés. Et le nombre de lits d’hospitalisation est resté stable depuis 2004 alors même que la prise en charge ambulatoire s’est développée, ce qui est heureux. Un plan d’investissement important en plus de celui que je viens de vous annoncer est en cours : 342 opérations de modernisation seront réalisées entre 2006 et 2010 pour un montant total de 1,5 milliard d’euros. Et je le dis au Ministère de la Santé, s’il apparaît qu’il faut investir davantage, nous investirons davantage. S’il faut accélérer certains projets, nous les accélèrerons, j’y suis prêt, mais je le dis aux praticiens que vous êtes, des moyens supplémentaires, mais des réformes. Les deux ensemble. Des moyens supplémentaires au service d’une politique de réforme. Pas d’immobilisme dans ce secteur aussi.
Il faut que l’hôpital psychiatrique, allez j’ose le mot, ait un patron et un seul, qui a le pouvoir de dire Oui et de décider. Il faut que l’hôpital psychiatrique coopère davantage avec les autres acteurs de l’offre de soins pour mieux gérer les urgences et pour rendre le parcours du patient plus fluide. Enfin, et vous me l’avez dit, j’en suis convaincu, il est essentiel d’accroître l’attractivité de vos métiers et de vos carrières. C’est un problème majeur dans notre pays. Vous avez un métier passionnant mais extrêmement exigeant. Donc il faut que l’on renforce l’attractivité de vos métiers et de vos carrières tout en développant les passerelles avec les autres établissements de santé pour qu’il n’y ait pas de ghetto. Je vois bien les avantages de la spécialisation mais je crains la « ghettoisation », tellement facile dans notre pays. Alors permettez-moi d’adresser un message particulier aux Directeurs d’hôpitaux qui sont au cœur de la réforme que j’ai voulu avec Roselyne Bachelot.
Je leur fais confiance, j’ai de l’estime pour le travail remarquable qui est le leur mais pourquoi je dis qu’il faut un patron à l’Hôpital, parce qu’aucune structure humaine ne peut fonctionner sans un animateur. Et à l’hôpital il y a tant d’intérêts contradictoires et de tensions qu’on est dans un système où tous peuvent dire non et personne peut dire oui. Celui qui a le plus petit pouvoir peut empêcher de faire une petite chose mais celui qui a le plus grand pouvoir ne peut pas permettre de faire une petite chose. Le pouvoir de dire non, en fait, existe et le pouvoir de dire non existe car chaque pouvoir équilibre l’autre dans un mouvement de paralysie quasi générale. Moi je préfère de beaucoup qu’il y ait un vrai animateur, un vrai patron parce qu’il est animateur et qu’il est responsable et qu’il écoute tout ce qu’on lui dit. Je pense notamment aux avis des médecins qui sont indispensables qui prennent des décisions et qui assument les responsabilités si ça ne va pas. C’est un système clair. Vous le voyez il n’est pas question que la Psychiatrie soit oubliée ou négligée, notre pays a besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui soigne et qui guérit, une hospitalisation psychiatrique en progrès où le bien-être des malades et des personnels doit être prise en compte et améliorée.
Nous avons besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui protège et en même temps qui soit plus transparente. C’est pas mystérieux ce qui se passe ici. Il ne faut pas avoir peur de la psychiatrie et de l’hôpital psychiatrique. C’est un besoin, c’est une nécessité et le fait que j’ai voulu venir ici c’est pour montrer aux Français qu’ici il y a des hommes qui travaillent avec passion, avec compétences et dévouement et qu’on a besoin d’eux et qu’on n’a pas besoin de changer de trottoir quand on passe à côté d’un hôpital psychiatrique. Et que la maladie psychiatrique ça peut arriver à des tas de gens dans beaucoup de famille. Et par ailleurs, et je terminerai par cela, c’est trop important pour qu’on ait des débats d’école, de secte, d’idéologie. Il n’y a pas d’un côté ceux qui ont raison sur tout, moi compris, et ceux qui ont tort d’un autre côté sur tout. Il y a une nécessité de progresser. Des moyens supplémentaires, mais aussi une réforme, une réforme pour que vous puissiez travailler mieux, pour que nous ayons moins de drames comme ceux que nous avons connu, car les premiers traumatisés ce sont les personnels ou le médecin dans un cas comme dans l’autre.
Voilà, Mesdames et Messieurs, j’espère que vous avez compris que pour moi, ces quelques heures passées dans votre établissement, ce n’était pas une visite comme les autres. Et je voudrais vous dire combien je respecte le travail qui est le votre et le choix de carrière qui est le votre parce que j’imagine qu’y compris dans votre entourage familial et personnel il doit falloir passer du temps pour expliquer ce que vous faites et pourquoi vous le faites avec tant de passion.
Et enfin, et je comprends parfaitement que le malade est une personne humaine et que sa maladie ne fait que le rendre plus humain encore. Et qu’un hôpital ne sera jamais une prison. Mais en même temps, des malades en prison c’est un scandale. Mais des gens dangereux dans la rue, c’est un scandale aussi. Je veux dire les deux choses. Et qu’on ne vienne pas me dire, c’est un cas de temps en temps car si c’était nous on ne viendrait pas nous dire que c’est un cas de temps en temps. Et donc il va falloir faire évoluer une partie de l’hôpital psychiatrique pour tenir compte de cette trilogie : la prison, la rue, l’hôpital. Et trouver le bon équilibre et le bon compromis.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention et bien sûr de votre accueil.
Erasme, l’auteur de « L’Eloge de la Folie » eut pu mieux vous inspirer, vous qui, en un discours, avez montré votre intention d’en finir avec plus d’ un demi siècle de lutte contre le mauvais sort fait à la folie : l’enfermement derrière les hauts murs, lui appliquant les traitements les plus dégradants, leur extermination en premier, quand la barbarie prétendit purifier la race, la stigmatisation au quotidien du fait simplement d’être fou.
Vous avez, à Antony, insulté la mémoire des Bonnafé, Le Guillant, Lacan, Daumaison et tant d’autres, dont ma génération a hérité du travail magnifique, et qui ont fait de leur pratique, œuvre de libération des fécondités dont la folie est porteuse, œuvre de libération aussi de la pensée de tous, rendant à la population son honneur perdu à maltraiter les plus vulnérables d’entre nous. Lacan n’écrit-il pas : « l’homme moderne est voué à la plus formidable galère sociale que nous recueillions quand elle vient à nous, c’est à cet être de néant que notre tâche quotidienne est d’ ouvrir à nouveau la voie de son sens dans une fraternité discrète, à la mesure de laquelle nous sommes toujours trop inégaux ».
Et voilà qu’après un drame, certes, mais seulement un drame, vous proposez une fois encore le dérisoire panégérique de ceux que vous allez plus tard insulter leur demandant d’accomplir votre basse besogne, que les portes se referment sur les cohortes de patients.
De ce drame, vous faites une généralité, vous désignez ainsi nos patients comme dangereux, alors que tout le monde s’entend à dire qu’ils sont plus vulnérables que dangereux.
Mesurez-vous, Monsieur le Président, l’incalculable portée de vos propos qui va renforcer la stigmatisation des fous, remettre les soignants en position de gardiens et alarmer les braves gens habitant près du lieu de soin de la folie ?
Vous donnez consistance à toutes les craintes les moins rationnelles, qui désignant tel ou tel, l’assignent dans les lieux de réclusion.
Vous venez de finir d’ouvrir la boîte de Pandore et d’achever ce que vous avez commencé à l’occasion de votre réplique aux pêcheurs de Concarneau, de votre insulte au passant du salon de l’agriculture, avilissant votre fonction, vous déprenant ainsi du registre symbolique sans lequel le lien social ne peut que se dissoudre. Vous avez donc, Monsieur le Président, contribué à la destruction du lien social en désignant des malades à la vindicte, et ce, quelles que soient les précautions oratoires dont vous affublez votre discours et dont le miel et l’excès masquent mal la violence qu’il tente de dissimuler.
Vous avez donc, sous l’apparence du discours d’ordre, contribué à créer un désordre majeur, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale en désignant à ceux qui ne demandent que cela, des boucs émissaires, dont mes années de pratique m’ont montré que justement, ils ne pouvaient pas se défendre.
Face à votre violence, il ne reste, chacun à sa place, et particulièrement dans mon métier, qu’à résister autant que possible.
J’affirme ici mon ardente obligation à ne pas mettre en œuvre vos propositions dégradantes d’exclure du paysage social les plus vulnérables.
Il en va des lois comme des pensées, certaines ne sont pas respectables ; je ne respecterai donc pas celle dont vous nous annoncez la promulgation prochaine.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, la très haute considération que je porte à votre fonction.
Docteur Michaël GUYADER
Chef de service du 8ème secteur de psychiatrie générale de l’Essonne,
Psychanalyste
J’adresse cette lettre à qui vous savez, écrire à l’Elysée c’est gratos, alors n’hésitez pas ! et j’ajoute une recommandation de lecture (mais c’est-il lire ?)
Dans la nuit de Bicêtre de Marie Didier. Folio N°4563
Il existe une pétition à signer si vous n’acceptez « pas que la plus haute autorité de l’État répande de tels propos qui laisseraient croire que les personnes atteintes de troubles psychiques font bien plus souffrir la société que celle-ci ne les aliène. Vous n n’acceptez pas non plus que ces citoyens soient jetés en pâture à la vindicte populaire pour maintenir de manière forcenée, irresponsable, le ferment de la peur. »