Vendredi 25 janvier à 13 heures, le journal « Le Monde » devait se trouver un nouveau patron. Sous peine de se voir imposer un administrateur judiciaire. Pas simple, compte tenu de l’usine à gaz qu’a laissée derrière lui Jean Marie Colombani. Voyage pittoresque au pays de la cavalerie financière, où veut s’inviter un Sarkozy.
Le duo Jean Marie Colombani et Alain Minc qui a présidé aux destinées du Monde, le premier comme patron du journal et le second comme président du conseil de surveillance, ont réussi à laisser, derrière eux, un formidable caravansérail financier. On trouve de tout dans le Monde de Minc et de Colombani : une cascade de sociétés, des actionnariats croisés, une dilution totale des responsabilités et un holding de tète, Le Monde Partenaires et Associés (LMPA) dont la rédaction est l’actionnaire majoritaire, mais sans posséder aucune prise réelle sur l’avenir du journal.
Et quand bien même Eric Fottorino, l’actuel patron de la rédaction dont les qualités ne sont pas en cause, serait élu, le 25 janvier, à la direction du groupe par le holding de tète, son pouvoir serait totalement encadré par les deux plus gros actionnaires, Arnaud Lagardère et le groupe du quotidien espagnol El Pais (Voir encadré plus bas). Lesquels sont les seuls à pouvoir mettre la main au portefeuille. Ce qui laisse à Alain Minc, viré cet été par la rédaction, la possibilité de jouer en coulisses un role décisif dans l’impasse actuelle. Accrochez vous à vos calculettes, Bakchich tente de vous initier aux arcanes finacières du Monde du père Ubu, pardon Minc.
Officiellement, la rédaction du journal possède 52% du holding de tête, LMPA, qui décide de la nomination et de la révocation du patron du Monde. La vitrine est belle. En fait, l’essentiel du pouvoir a glissé peu à peu de cette petite structure à sa grosse filiale, Le Monde SA. Laquelle est irriguée par les principaux actionnaires du Monde : Arnaud Lagardère, à hauteur de 19% et le groupe El Pais pour 17%. Là se trouve le porte monnaie du groupe. Toujours est-il que les places au Conseil de surveillance, encore présidé par le bon Minc, et ce à priori jusqu’au 31 mars, sont encore très chères. A voir la bataille que mène Guillaume Sarkozy, le frère aîné de qui vous savez, qui guigne son fauteuil au Conseil (voir encadré), on se dit que les enjeux sont là. Elu jeudi 24 président du Monde prévoyance, actionnaire de LMPA, il entend bien ce vendredi s’asseoir à cette table si prisée.
Jeudi 24 janvier à 15 heures, la rédaction du Monde a eu la surprise de voir Guillaume Sarkozy franchir la porte du bâtiment du vénérable quotidien. Flanqué de son attachée de presse et du directeur de la communication du groupe Médéric, dont il est délégué général, le frère du président venait juste se faire élire… président. C’est de famille, il faut bien présider.
Que vient faire un Sarkozy au Monde ? Il faut replonger dans l’entrelacs de sociétés actionnaires de l’honorable journal. En l’occurrence, Guillaume Sarkozy a pris hier la tête, lors d’un conseil de direction extraordinaire, du Monde prévoyance, l’une des sociétés actionnaires du groupe, propriété de Médéric. Comme Bakchich l’a écrit, depuis qu’il est délégué général de Médéric, c’est-à-dire plus d’un an, ce Sarkozy bis piaffe pour pouvoir à ce titre s’asseoir au conseil de surveillance. Le hic, c’est que l’ancien DG de Médéric, Régis de Laroullière, continuait jusqu’à ces dernières semaines à assister au conseil, alors qu’il ne représente plus ce groupe assureur. Guillaume Sarkozy avait adressé une lettre recommandée à Alain Minc, son président sortant, pour exiger de reprendre ce fauteuil si désiré.
La situation s’avère cocasse. Selon différentes sources, Minc, contrairement aux idées reçues, ne serait pas favorable à l’arrivée de Guillaume Sarkozy autour de la table. Plusieurs actionnaires grands patrons, non plus. « Ce Sarkozy n’est pas sarkozyste pour autant », glisse un membre de la Société des rédacteurs du Monde. Du côté de la rédaction, on voit, semble-t-il, arriver ce Sarko là avec peu d’inquiétude. Les temps changent…
Hier, Régis de Laroullière a démissionné du Monde prévoyance, pour le plus grand bonheur de Guillaume Sarkozy. Mais l’imbroglio n’est pas levé pour autant : il a quitté brutalement la pièce sans démissionner du conseil de surveillance de LMPA. Alors que se passera-t-il ? Jeudi soir, Sarkozy a adressé des lettres à Minc pour demander à siéger quand même, et dès vendredi s’il vous plaît. Résultat : les patrons confortablement installés à la table du conseil voient d’un mauvais oeil une alliance objective Sarkozy-actionnaires « internes », susceptible de renverser la majorité au sein du conseil de surveillance. Ce serait le comble.
Laurent Léger
Mais la créativité du duo Colombani-Minc ne s’arrête pas là. Comme l’argent était venu à manquer, le Monde a souscrit pour 72 millions d’euros des Obligations remboursables en actions ( ORA) dont les intérêts plombent la trésorerie du groupe. Et cette manne profite aux heureux possesseurs d’ORA, dont le groupe Publicis. En 2012, si ces obligations ne sont pas remboursée - et on ne voit guère comment elles le seraient, compte tenu des finances du Monde -, de nouveaux actionnaires entrent dans la danse. A ce stade, prenez une boisson rafraichissante pour continuer le récit des aventures financières de Minc et Colombani.
Le Monde SA possède, lui aussi, quelques filiales dont le quotidien Le Monde . On en est au troisième étage de la fusée. Passons au quatrième niveau de cette belle maison. Le journal a filialisé, à son tour, le Monde.fr, le premier de tous les sites des pays francophones, une vraie pépite d’or qui peut « cracher » des millions d’euros. Actionnaire à 64%, le quotidien a apporté sa marque à l’aventure et Arnaud Lagardère y a investi, pour payer les soixante dix salariés du site, quelque 70 millions (qui s’ajoutent aux 70 millions qu’il a apporté, si vous vous souvenez bien, au Monde SA). Et pour cause, autant le fils de Jean Luc n’a à peu près rien à faire du quotidien qu’il laisserait volontiers aux Espagnols, autant il convoite le trésor du Net.
El Pais est candidat au renflouement du Monde. Forcément, ça fiche un coup aux vétérans qui se rappellent encore de ces petits Espagnols barbus chevelus qui, au milieu des années 70, venaient rue des Italiens pour apprendre humblement comment on faisait un "Grand Journal". Parmi eux, un certain Juan Luis Cebrian, celui-là même qui, aujourd’hui, en tant que DG du groupe Prisa (propriétaire de El Pais), propose d’allonger 35 millions, à égalité avec Lagardère, pour prendre le contrôle du capital du Monde.
Entre temps, Cebrian n’a pas chômé, il a fait d’El Pais le journal symbole de l’Espagne de l’après-franquisme. Une référence et, surtout, une belle réussite industrielle : leader des ventes de la presse quotidienne espagnole (440 000 exemplaires en semaine, 730 000 le dimanche), doublé d’un site web qui reçoit dix millions de visiteurs uniques par mois. De quoi énerver au Monde…
Mais El Pais est surtout le cœur de Prisa, un véritable empire médiatique qui touche à tout, de la télé à l’édition, en passant par la radio ou le cinéma et affichait 230 millions de résultats nets en 2006. L’artisan de ce succès ? Jesus Polanco, un ancien vendeur d’encyclopédies à domicile qui a eu du nez pour les affaires et a toujours cultivé des amitiés bien placées.
Membre du comité fondateur d’El Pais puis fondateur du groupe Prisa dans la foulée, Polanco, mort en juillet 2007, aura gouverné jusqu’au bout d’une poigne de fer. Polanco a su imposer une synergie sans faille au sein du groupe et exiger la rentabilité comme critère. Il a su, aussi, jouer de l’influence éditoriale d’El Pais, et faire vibrer la corde socialiste au bon moment, pour faire fructifier ses affaires. Il a profité, par exemple, de la bénédiction de Felipe Gonzalez, pour racheter un racheter un réseau de radios publiques (Cadena Ser) dans les années 80, et décrocher des licences de télés locales (réseau Localia) dans les années 90. Polanco passe aussi la facture à Zapatero après son élection en 2004, pour le soutien sans faille apporté par El Pais et Cadena Ser : comme par magie, Prisa voit sa concession de télé semi cryptée passer à une télé toute en claire (de Canal + à Cuatro).
Mais la lune de miel est terminée. Aujourd’hui, une sombre histoire de droits de football a rafraîchi les relations entre Prisa et le pouvoir. Pile au moment où, comme par hasard, les éditoriaux de El Pais se montrent plus distanciés par rapport à la politique du gouvernement.
Julia Prensa
Mais rassurez-vous, nos confrères du boulevard Auguste Blanqui, qui ont petit moral ces jours-ci, n’y voient pas tellement plus clair.
Et quand bien même Eric Fottorino, l’actuel patron de la rédaction dont les qualités ne sont pas en cause, serait élu, le 25 janvier, à la direction du groupe par le holding de tète, son pouvoir serait totalement encadré par les deux plus gros actionnaires, Arnaud Lagardère et le groupe du quotidien espagnol El Pais
Comment le Monde va t-il pouvoir garder sa crédibilité si il est au mains de Lagardère ?
Vous vous demandez comment Le Monde va pouvoir "garder sa crédibilité" ? De quelle crédibilité voulez vous parler ? Il n’en a aucune tant la suffisance de sa rédaction est hallucinante et ce, depuis toujours. Voici ce que l’écrivais au courrier des lecteurs il y a peu :
"J’ai lu sous la plume de la médiatrice ou de R. Solé – je ne sais plus – que seuls 4 lecteurs vous avaient écrit en des termes peu amènes pour se féliciter de vos difficultés ! Sans donner dans ce sadisme, permettez-moi de m’inscrire comme « cinquième » membre de cette supposée débile minorité. Je vais vous dire pourquoi. Le Monde est un journal aux yeux de qui, rien ni personne n’à jamais grâce. La présomption de sa rédaction est hallucinante. Vous êtes à vos propres et seuls yeux, l’unique parangon de Vertu qui vaille. Je ne me souviens pas de n’avoir jamais lu dans vos colonnes, un seul article disant du bien sans persiflante ni hautaine réserve, sur quiconque ou quoi que ce soit ! Je vais vous en donner un exemple récent. Abonné à l’Opéra, j’ai vu hier le Corsaire dansé par le Bolchoï et me suis souvenu de ce que votre journaliste avait écrit il y a une dizaine de jours sur la tournée parisienne de cette mythique institution. Cette dame tenait des propos certes flatteurs mais naturellement assortis d’une hautaine et déplaisante ironie sur l’usage de fleurs dans la mise en scène. Cette personne ignore à l’évidence l’importance que prend dans la culture slave la floraison de la nature quelques mois seulement par an, dans un pays où règnent de glaciales intempéries tout le reste du temps. Et bien moi, j’ai aimé et je n’étais pas le seul. Pour être allé une bonne vingtaine de fois à Garnier, je n’ai jamais vu la salle debout applaudissant le spectacle qui venait de lui être offert. Sans doute ces pauvres sous-crétins dont je me flatte de faire partie n’avaient-ils pas lu Le Monde ou avaient-t-ils cessé de le lire ! Devenez un journal d’information pluraliste et rien d’autre. Respectez vos lecteurs ! Ils n’ont nul besoin que vous leur marteliez à longueur de colonnes où sont le Bien et le Mal, le Beau et le Laid, le Vice et la Vertu ! Peut-être vos ventes reprendront elles alors".
PS Mes vœux s’adressent également à Plantu qui a sérieusement besoin – lui aussi – de se recycler. Pourquoi ne nous croquerait-il pas une petite caricature sur l’incurie qui règne à l’évidence au sein des différents comités Théodule qui président à vos destinées ?