Celui que le Brésil a promu « sauveur de la patrie », auteur de plus de 1000 buts, comme Pelé, raccroche les crampons. « Bakchich » revient sur l’itinéraire d’un footballeur hors-norme.
Il était capable de tout. De se précipiter fou furieux dans la tribune d’un stade d’entraînement pour tabasser un quidam qui le chambrait, d’envoyer paître en direct l’un des plus illustres reporters sportifs de la télévision brésilienne, de proclamer sur ses t-shirts son amour paternel pour l’une de ses filles handicapée mentale, de tourner en bourriques les défenses adverses tout comme ses entraîneurs. Affectueusement surnommé « le petit » (o baixinho) à cause de ses 169 centimètres, Romario vient de rejoindre l’olympe des grands du football brésilien. Trois mois après avoir fêté, le 29 janvier, ses 42 printemps, l’enfant terrible du ballon rond a officiellement annoncé qu’il raccrochait pour de bon.
Funeste signe des temps, l’indéfectible fêtard tire sa révérence dans la foulée de la consécration tous azimuts au rang de meilleur joueur du monde de l’angélique Kaka, idole du Milan AC de Silvio Berlusconi, apôtre de la chasteté, et généreux donateur d’une secte évangélique brésilienne, dont les dirigeants, un couple d’« évêques » autoproclamés, sont actuellement en liberté surveillée à Miami après avoir été condamnés à dix mois de prison et provisoirement libérés sous caution pour contrebande de devises et faux témoignage… C’est de notoriété publique, Romario, lui, a toujours été porté sur les parties de jambes en l’air et les grasses matinées. A ceux qui avaient l’impertinence de le questionner à ce sujet, il répondait, imperturbable (quand il était de bonne humeur) : « c’est comme ça que je fonctionne ! »
Archétype du « destructeur compétent » massacré jusqu’à la fin de sa carrière de joueur par la presse brésilienne, Dunga, ancien milieu défensif et actuel patron de la Seleçao, était bien placé pour le comprendre durant la World Cup de 1994 aux Etats-Unis. En tant que capitaine de l’équipe, il eut un jour à donner son point de vue aux journalistes qui s’étonnaient de l’extrême légèreté des séances d’entraînement auxquelles le « petit » acceptait de se soumettre entre deux escapades nocturnes : « foutez-lui la paix ! rétorqua-t-il, moi je fais de la gym pour deux »… On connaît la suite : Romario, auteur de cinq buts en sept matches, fut le héros de la conquête du quatrième titre après lequel le Brésil courrait depuis 24 ans, depuis l’épopée mexicaine de 1970 de Pelé, Tostao, Jairzinho et consorts.
Promu par la vox populi « sauveur de la Patrie », le natif de la favela de Jacarezinho, dans la zone nord de Rio, est alors au faîte de sa gloire. Il en a pourtant plein les crampons de faire les beaux jours du Barça, sacré champion d’Espagne en 1994. Il a la nostalgie du pays, des parties de foot-volley sur la plage et des virées en boîte avec ses potes. Au terme des fêtes de fin d’année qu’il passe à Rio, il entame une guerre des nerfs avec les dirigeants du club et l’entraîneur, Johann Cruyff, qui aboutira rapidement à son transfert au Flamengo, le club le plus populaire de la ville. Juché sur un camion de pompiers, le « Roi de Rio » est accueilli dans la liesse par toutes les torcidas (clubs de supporteurs) cariocas pour son retour triomphal au bercail.
Son comportement indomptable d’électron libre lui vaudra son éviction, sous prétexte de blessure et à trois jours du dépôt des listes des sélectionnés auprès du comité organisateur, de l’équipe brésilienne, drivée par Zagallo et son adjoint Zico, qui va, en 1998, défendre son titre en France. Romario se venge par des caricatures les représentant assis sur une cuvette de WC placardées à l’entrée des toilettes du bar que tenait son père… Vétéran de 32 ans, il est alors habité par une obsession : inscrire le millième but à son palmarès et, du même coup, en finir avec l’exclusivité détenue, tout au moins au Brésil, par un certain Pelé (Ferenc Puskas appartiendrait lui aussi à ce club très fermé), avec lequel il entretient une interminable guérilla d’ego. Pour ce faire, il comptabilise à son actif 98 buts marqués avant de passer pro ou en matches amicaux, et il remplit patiemment sa besace sous les couleurs de clubs exotiques du Qatar, d’Australie et des Etats-Unis. En 2007, il rejoint le club de ses débuts professionnels, le Vasco da Gama de Rio. Le 20 mai, face au Sport Recife en championnat national, il réalise enfin son rêve. Il plante son millième but. Sur penalty. Comme… Pelé.
« Un mythe ne prend jamais sa retraite » titrait, O Globo, le grand quotidien de Rio, à l’heure de saluer la sortie du « petit ».