Le procès Khalifa s’éternise, mais derrirère les caméras, la présidente du tribunal, veille : pas question de "sortir du dossier"
À la cinquième semaine du procès Khalifa, l’audience s’essouffle. Au tribunal de Blida, le tout neuf avec ses murs en stuc blanc et ses lustres tarabiscotés, la salle où se déroule le procès est presque à moitié vide, ne sont restés que la presse, les avocats et les parents des accusés. Des accusés tassés dans un coin, les visages éteints, soucieux, comme accablés par la lourdeur de ce procès qui pèse sur leurs épaules sans grade.
L’entrée est filtrée par un cordon de gendarmes et la presse doit être munie « d’un ordre de mission ». Des yeux, je cherche les caméras, il y a sûrement des caméras qui filment, peut-être là, dans les climatiseurs ? Je demande, candide, à un charmant gendarme : « Elles sont où les caméras ? » Tout aussi candidement, il me répond : « Ça, je ne te le dirai pas ». Et voilà une information confirmée : c’est bien ce que je pensais, le procès du siècle est discrètement filmé… sans doute pour l’histoire. « Tu cherches trop à comprendre, toi » ajoute, amusé, le gendarme. C’est mon métier, monsieur et c’est pour ça que je suis là, alors qu’il fait si froid.
D’abord, je trouve que la réputation de la présidente de la Cour, compétence, respect des accusés, est surfaite. S’il est vrai qu’elle est polie et qu’entre deux audiences, elle nous souhaite à tous un bon appétit, je la trouve quand même un peu raide, un rien soucieuse de plaire à la presse qui apprécie les clins d’œil, puis se tournant vers des avocats qui papotent, elle les rappelle à l’ordre avec coquetterie, « arrêtez, vous m’empêchez de me concentrer ». La quarantaine bien passée, brune et gouailleuse, elle n’aime pas trop qu’on sorte « du dossier ».
Au Directeur Général, Yacine Ahmed, de Digromed, une entreprise publique de médicaments qui tente d’expliquer les circonstances dans lesquelles il a été amené à faire des dépôts à la Khalifa Bank, elle rétorque agacée, « répondez à mes questions et ne sortez pas du dossier ». C’était pourtant intéressant de comprendre comment une entreprise publique, employant 1500 personnes, étouffée par le fisc, en dépit d’une décision de justice favorable à l’entreprise, et dont les avoirs dans les banques publiques étaient bloqués, « je ne pouvais payer ni les salariés, ni les fournisseurs », n’avait d’autre choix à l’époque, avant d’être mise en faillite, que de s’adresser à la seule banque privée, la Khalifa Bank.
Résultat des courses, Digromed a perdu 23 milliards de dinars. Des milliards d’argent publics sont ainsi partis en fumée, combien ? « On ne le saura sans doute jamais », me répond désabusé un avocat. Sans doute jamais… Entre-temps, Abdelmoumène Khalifa se livre, depuis son exil doré à Londres, au chantage par presse internationale interposée, « j’ai des secrets d’État ». En clair, « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Mais ne sortons pas du dossier et taisons-nous, nous sommes filmés. Mais où l’ont-ils cachée, la caméra ?