Jean est un taximan atypique. Au volant de son tacot qui dévale les rues de Yaoundé, cet ancien bouquiniste tempête contre les incapables au pouvoir qui ruinent le pays et pillent ses habitants. Convoquant Voltaire, Zola et Jaurès, il rêve de justice sociale et de combats épiques. Voir, par exemple, ses compatriotes suivre l’exemple des Français qui se sont levés par millions contre le CPE au printemps dernier. Homme de culture et d’action, le dynamique quadragénaire veut faire bouger les choses. Il a donc lancé, il y a quelques années, son propre syndicat de taxi. Une structure indépendante, jure-t-il, qui ne se laissera pas corrompre par les puissants. Contrairement aux autres…
Jean ne jouit malheureusement pas des mêmes ressources que ses camarades français. Ayant limité les cotisations mensuelles à 500 F CFA (0,8 euros), il ne dispose pour toute arme de combats que d’une modeste table, d’un tampon officiel et d’un téléphone portable qui fonctionne quand il peut. Difficile d’exiger davantage à des taximen qui, appartenant presque tous au petit peuple, n’en finissent pas de se serrer la ceinture.
Fatigué d’être ponctionné de toute part, Jean s’est tout de même associé depuis quelques mois à ses camarades des autres syndicats. Objectif : mener une vaste offensive contre « les tracasseries policières ». En d’autres termes : contre le rançonnage systématique, et quasi institutionnalisé, des automobilistes par les forces de l’ordre. Lesquelles n’ont aucun mal, vu l’état du parc automobile, à trouver des prétextes pour détrousser les innombrables taxis qui bringuebalent jour et nuit dans la capitale. Fédérateur, le mot d’ordre a permis aux syndicats d’immobiliser la ville, le 12 juin dernier. Et d’obtenir un accord : être associés aux opérations de contrôles policiers des automobilistes.
Une stratégie habile de la part des autorités, bien placées pour savoir comment fonctionne le pays : appuyés par les hommes en tenues au sein des « patrouilles mixtes » syndicalo-policières, les syndicalistes se sont mis à racketter leurs propres congénères…
Conscient du piège, Jean n’est évidemment qu’à moitié satisfait de la situation. Mais le fier syndicaliste a du se résoudre à remiser, au moins temporairement, ses nobles idéaux. Le temps, pourquoi pas, de financer la réparation de son téléphone mobile…Pas facile, au Cameroun, de concilier petits moyens et grandes ambitions.