Des tartes et des livres

Coucou les loulous et les louloutes. Les craquants sacripants de Bakchich me convient à vous recommander chaque semaine dans leur canard des lectures foutrement éperonnantes faisant la nique dans les registres les plus divers aux saloperies trônantes et aux best-sellers crétins. Pour ouvrir le feu, j’attire votre attention sur quelques parutions récentes axées autour du complot situationniste.

Correspondance de Guy Debord, tome 6 (Fayard) : Les drôles de coulisses de l’épopée de la révolte pimentée dans la France et l’Italie de 1979 à 1987 avec quelques protagonistes inattendus comme le chanteur Renaud, le hors-la-loi Mesrine, le cinéaste gitan Tony Gatlif. Et avec les débuts-surprises de Debord dans la loufoquerie olé-olé référentielle : Le Putassier Potemkine, La Chatte sur un doigt brûlant, Quai des burnes, Touche-moi au grisbi.

Le Jeu de la Guerre d’Alice Becker-Ho et Guy Debord (Gallimard) : L’édition revue, corrigée, augmentée d’une somme de documents sur le surexcitant Kriegspiel imaginé par Debord en 1955, construit par un artisan en 1977 (mais seulement à cinq exemplaires !) et présenté extravagamment en 1947 aux éditions Lebovici sous la forme d’« un relevé des positions successives de toutes les forces au cours d’une partie ».

Une dette (Deleuze, Duras, Debord) d’Emmanuel Loi (Seuil) : Transmises par un des derniers familiers de Debord, le braqueur de banques de charme Emmanuel Loi, de fort savoureuses et fort secouantes histoires sur le sens de l’hospitalité envoûtant et sur les ivresses lucides du grand agitateur désabusé.

L’Agonie de Geronimo et autres clichés de Patrick Mosconi (Jean-Paul Rocher) : L’Arizona apache des « immensités sauvages où tout se perd, où toute rhétorique s’évapore » photographié dyonisiaquement et raconté avec un lyrisme howardhawksien par l’exécuteur testamentaire littéraire de Debord, joliment bien secondé ici par son éditeur.

Extrêmes gauches : la tentation de la réforme de Christophe Bourseiller (Textuel) : Par l’excellent auteur « en marge de la marge » de Vie et mort de Debord (Plon + Pocket), une analyse implacable de la fossilisation réformiste des courants mao-trotskards misant sur l’apparition d’une post-extrême-gauche altermondialiste tentant de réconcilier la passion du complot subversif collectif avec le goût de la jouissance individuelle.

L’Aventure moderne de Christophe Bourseiller (Flammarion) : Un roman-mémoires accrochant de bout en bout du même Bourseiller qui, avant d’être un des meilleurs décortiqueurs de la pensée critique radicale, a été rédac-chef de « Maximal », animateur radio-télé et comédien notamment chez Godard, Demy, Yves Robert.

Peter Ibbetson de George du Maurier (L’Or des fous) : Postfacée par l’autre détonateur-clé dégingandé des événements de mai 68, Raoul Vaneigem, la réédition du chef-d’œuvre du roman d’amour fou niquant tous les obstacles, y compris la mort, porté à l’écran par Henry Hathaway. « C’est de ne vouloir pas assez aimer que nous mourons ».

Orwell ou l’horreur de la politique de Simon Leys (Plon) : La ressortie, 23 ans plus tard, d’un remarquable essai sans concession d’un des compagnons de route, plutôt que de déroutes, des situs historiques qui fit scandale en 1971 en démontrant que Mao n’était qu’un sordide despote stalinoïde.

Il faut construire l’hacienda de Jean-Marie Apostolidès (Les Impressions nouvelles) : Une pièce de théâtre sulfureuse confrontant en 1959 le monde cynique de la politique incarné par le futur 1er Ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau avec le monde de la poésie séditieuse incarnée par l’ex-lettriste intime de Debord Ivan Chtcheglov en passe d’être interné.

La Veuve blanche et noire un peu détournée de Patrick Straram (Sens &Tonka) : Un chouette roman d’apprentissage décrivant l’éducation sentimentale du jeune situ lettriste Straram en recourant à de constants détournements. A compléter par la lecture de la très chamboulante Lettre à Guy Debord (également chez Sens &Tonka) que Straram frigoussa en 1960. « Faisant à Montréal un travail de critique, je souligne presque toujours qu’un spectacle en tant que tel, outre que vain, est intellectuellement nuisible et politiquement criminel ».

Pourquoi l’art ne peut pas tuer l’internationale situationniste de T.J. Clark & D. Nicholson-Smith (Egrégores Editions) : Un pamphlet américain cinglant contre divers récupérateurs gluants, dont Regis Debray, de l’état d’esprit situ pris en mains peu après le suicide de Debord par deux ex-activistes délurés de l’organisation.

La Folle Histoire du monde de Michel Bounan (Allia) : Dans la tradition situ perpétuée avec une tranchante rigueur par les éditions Allia, un essai palpitant au cours duquel le fricasseur des dévastateurs brûlots L’Etat retors et Logique du terrorisme (chez Allia tous les deux) dépeint debordiennement les folies collectives qui socio-névrotisent la civilisation autoritaire-marchande.