Place aux chevaucheurs de comètes surréalistes qui allument de belles mèches fusantes dans quelques parutions chouagas des deux dernières années. L’intégral, à lire, à lire, à lire, jambon à cornes !
Marcel Duchamp – L’Art à l’ère de la reproduction mécanisée de Francis M. Naumann (Hazan) : Dans un format géant proprement envoûtant, une étude chronologique poussée de l’œuvre de l’inventeur du ready-made transcendée par ses propos narquois sur son travail : « Quant à distinguer le vrai du faux, l’imité de la copie, ce sont là des questions techniques d’une imbécillité folle, entre nous ». A la fin de la monographie, Marcel Duchamp relativise cocassement tout ce qui précède en proclamant que, de toute façon, « l’art en tant qu’entité singularisée est mort puisque chacun, en réalité, est un artiste méconnu en tant qu’artiste ».
Marcel Duchamp mis à nu – A propos du processus créatif de Marc Decimo (Les presses du réel) : Une approche malicieuse de Duchamp soulignant que finalement « son Grand Œuvre est l’emploi de son temps, une œuvre d’affranchissement par rapport aux influences sociales ». Confrontant « le désespoir paisible de Duchamp sans convulsion de colère » à l’anarchisme individualiste ironique de Max Stirner et sa « joie de curiosité » aux méthodes d’investigation pataphysiques « à la fois rationnelles et irrationnelles », Marc Decimo dessine fortichement bien la cartographie des points de convergence entre la rébellion sarcastique de Marcel et celle d’autres géants du XXe siècle de la provocation anti-culturelle incongrue comme Jarry, Brisset, Roussel, Queneau.
Le Surréalisme de Duchamp à Deleuze d’Anne Larue (Talus d’approche, Michel Broudain, BP 36, B-7060 Soignies) : Un réexamen tonifiant du surréalisme dont les pouvoirs de subversion furent compromis par « une conception vieillotte, surannée, catastrophiquement rétrograde de l’Amour et de la Femme ». Bravo Anne Larue d’oser exposer dans un style savoureusement incandescent tout ce que le culte affiché de l’amour fou (et de la femme-enfant) d’André Breton pouvait avoir de tartement phallo ! Mais l’auteur arrête là son jeu de massacre pour célébrer les multiples dimensions véritablement libératrices des pratiques surréalistes.
L’Evénement surréaliste de Vincent Bounoure (L’Harmattan) : Un précieux recueil de textes rares ou inédits d’un des principaux activistes du groupe surréaliste de Paris décédé en 1996 qui s’ingénia toujours à conjuguer l’appel révolutionnaire pré-mai 68 de Lautréamont (« la poésie doit être faite par tous ») avec la mise en garde de Benjamin Péret : « Tout est à recommencer, tous les jours ». Parmi les sommets du florilège, des portraits inattendus de Dali, Jarry, Paul Nougé, les résultats d’une enquête corsée sur les représentations érotiques, et une réflexion hard sur les rapports entre la révolution libertaire et la perversion sadienne.
Man Ray d’Emmanuelle de L’Ecotais et Katherine Ware (Taschen) : Ce magnifique récapitulatif visuel de l’œuvre de l’artiste photographe le plus vertigineusement inventif du XXe siècle ne se contente pas de nous montrer l’essentiel de sa fascinante production ni de souligner ses apports historiques (la solarisation, le rayogramme, la manipulation des surfaces optiques à des fins créatrices, le couplage des épreuves positives et négatives). Il nous rappelle aussi que Man Ray était un grand sacripant qui « s’amusait à brouiller les pistes sur de très nombreux aspects de sa vie et de son œuvre et qui, entre le matin et l’après-midi, aimait donner des renseignements contradictoires à différents visiteurs ».
Poèmes à l’autre moi de Pierre Albert-Birot (Gallimard – Poésie) : Envoyé sur les bégonias par les intransigeants surréalistes, Albert-Birot n’était pas si éloigné que ça d’eux même si, loin de faire table rase du passé comme eux, c’est dans le creuset de traditions séculaires (Montaigne, Ulysse, Villon) qu’il aimait puiser son inspiration lyrique quelquefois très facétieuse : « Salut au jeune enchanteur qui un soir nous offrira la drogue à saoûler les chiffres ».