Privatiser la guerre en la sous-traitant à des entreprises est une routine. L’Irak et Halliburton ou autres sinistres Blackwater en témoignent. La mode est aujourd’hui à la privatisation de la paix. Après les chiens de guerre, voici venue l’ère des chiens de paix.
Services complexes à fournir, courts délais à respecter… Les Nations Unies ont confié à une société privée l’installation des camps qui abriteront le personnel de la Minuad, la Mission des Nations Unies et de l’Union Africaine au Darfour, opérationnels début 2008. L’heureuse élue — le contrat avoisine les 250 millions de dollars — est une société américaine, la Pacific architects and engineers Incorporated (PAE Inc.). Celle-ci s’est en outre engagée à fournir à l’ONU au Darfour toute une série de services logistiques (restauration, entretien, maintenance et nettoyage). Précision non négligeable, PAE n’est pas une novice en la matière : présente dans la région depuis 2004, elle fournit déjà tous les services logistiques nécessaires à la viabilité des 34 camps de l’Union Africaine. Si elle a vu le jour en 1955 comme un cabinet d’architecture et d’ingénierie des plus classiques, PAE propose aujourd’hui de multiples “services” aux gouvernements (essentiellement américain et britannique), organisations internationales, compagnies pétrolières et gazières. C’est à la fin des années 60 qu’elle change d’orientation. Progressivement happée par Lockheed Martin, PAE devient alors une filiale du géant américain de la défense et de la sécurité et diversifie son offre de construction de préfabriqués, même si elle proposait déjà quelques services logistiques à des pétroliers. PAE connaît même une période faste pendant la guerre du Vietnam : forte de 25 000 employés sur le terrain, elle gérait en plus les services de maintenance et de logistique des bases militaires américaines.
Ce n’est qu’en 2001 que PAE commence à loucher vers la sécurité en s’associant avec le groupe Homeland Security Corporation (HSC). Objectif : offrir des services de sécurité tant aux gouvernements qu’au privé, ce qui n’échappe pas au Département d’Etat américain. Rapidement, la nouvelle entité PAE-HSC recrute, entraîne et déploie une partie grandissante du personnel de la sécurité intérieure opérant à l’étranger. Les activités de formation sont regroupées sous le “système de management PPCT”, du nom d’une méthode de formation dédiée à l’usage de la force et aux entraînements de self-défense. Les clients affluent, les missions prestigieuses aussi : entraînements spécialisés de la CIA, camp Peavy en Virginie rattaché au Département de la Defense, services secrets américains, camps Red Cell et Littlecreek en Virginie rattaché au Département de la Marine, Fort Benning en Georgie pour l’entrainement des Rangers rattaché au Département de l’Armée, Fort Leavenworth au Kansas (prison militaire disciplinaire), Fort Bragg en Caroline du Nord pour l’entrainement des Forces Delta, Hereford en Angleterre pour l’entrainement du 22ème régiment de SAS et le Département de la Police Royale de Hong Kong…
Les perspectives de carrières chez PAE-HSC deviennent tout aussi alléchantes. Ainsi, si vous êtes citoyens américains et a fortiori officiers de police parlant couramment français et/ou créole, PAE-HSC et le Département d’Etat seraient extrêmement heureux de vous offrir un agréable voyage-professionnel sous les alizés carabéens afin de rejoindre les forces américaines de la Police des Nations Unies de la MINUSTAH (encore une force de l’ONU) à Haïti. Vous pourriez ainsi participer aux côtés des 50 officiers américains, déjà présents à Haïti, aux opérations de sécurité publique. Et il en est de même en Afghanistan, en Irak, au Libéria et à Timor-Leste. Autant de contrées où les “chiens de paix” pullulent…
Consciente toutefois de son image de marchand d’armes, PAE-HSC s’est achetée une conduite. Elle a signé en septembre 2005 avec les Nations Unies le “United Nation’s Global Compact and PAE”, un mélange de devoirs et d’obligations en dix principes que les employés de la compagnie se doivent de respecter. Le respect des Droits de l’Homme y côtoie l’abolition du travail des enfants, et la lutte anti-corruption, la protection de l’environnement. Cette société se présente comme un “nouvel acteur humanitaire” et adopte le discours de vérité que la communauté internationale veut entendre. La boucle est bouclée. La privatisation des opérations de guerre et l’emploi de sociétés militaires privées (SMP) ne sont pas des phénomènes nouveaux ni isolés. La hausse exponentielle du nombre de privés en Irak (20 % des forces américaines) en est une preuve criante. Aujourd’hui, la nouveauté réside plutôt dans la privatisation des opérations de paix. Perçue par de nombreux experts comme l’avenir du maintien de la paix, cette nouvelle doctrine fait d’ailleurs partie des volontés affichées par les Nations Unies. Avec du recul, cela signifie que la guerre et la paix ne sont plus considérées comme des questions ou des dynamiques politiques mais relèvent davantage d’une gestion rationnelle des risques et profits. Les chiens de guerre et de paix pullulent et la niche impériale se transforme en supermarché militaro-sécuritaire de la création et de la résolution des conflits… Peace is business.
[1] La paix c’est du business