Prise la main dans le cockpit, l’armée américaine est bien embarrassée. Rendu coupable de la mort des deux journalistes de Reuters, le Pentagone va-t-il jouer désormais la transparence ? Rien n’est moins sûr.
L’onde de choc de la vidéo de Wikileaks sur le double meurtre de l’armée américaine n’en finit pas de se répandre sur la toile. Non seulement on apprend comment les deux journalistes de Reuters ont été tués mais on comprend comment les militaires ont tué des enfants et des hommes non armés. En s’acharnant, littéralement, avec une bonne dose de rigolade. Beau cynisme d’une exécution à distance, digne d’un jeu vidéo, rappelant la pub d’Opération Flashpoint : « la guerre comme si vous y étiez ».
La question est de savoir désormais comment le Sénat américain va réagir. Aura-t-il la volonté d’enquêter et de procéder à des auditions comme la loi le lui permet ? Il y a eu de toute évidence mensonge puisque l’armée US a nié toute responsabilité. Y compris après avoir réalisé une illusoire enquête.
Dans le passé aussi, nous le verrons, les enquêtes internes de l’armée américaine sont aussi objectives que les prévisions de Paco Rabanne. C’est pourquoi Wikileaks se force à trouver des preuves irréfutables. Un travail qui coûte cher. Le site « qui a probablement sorti plus de scoops en quelques mois que le Washington Post en 30 ans » selon Glenn Greenwald, chroniqueur pour The Nation, a besoin de billets verts pour encore faire trembler le Pentagone. Selon Wikileaks, la vidéo irakienne a coûté 50 000 dollars. Le site fait un appel aux dons pour sortir une autre vidéo compromettante de l’armée américaine : le meurtre de 100 civils dans l’ouest de l’Afghanistan en mai 2009.
C’était le 28 mars 2003, un soldat anglais trouve la mort dans la région de Bassorah en Irak. Quatre autres soldats sont blessés. L’armée britannique suspecte alors une bavure commise par deux avions américains A-10. Ils auraient ouvert le feu sur le convoi de cinq véhicules, qui venait d’être engagé dans des combats. Pour y voir plus clair,« l’armée de sa majesté » demande communication de la vidéo classée « secret défense » mais les autorités US refusent. L’armée américaine mène une enquête de son côté mais se garde bien d’en communiquer les conclusions. C’est en 2007 que le Sun se procure la fameuse vidéo. La scène se déroule dans le cockpit du pilote américain, qui tente de déterminer si le convoi repéré au sol près de Bassorah appartient aux forces de la coalition ou à l’insurrection. Un militaire penche pour la première option, l’autre pour la seconde et pense même voir des roquettes.
Après le tir, les pilotes se rendent compte de leur erreur. « On est bons pour la prison, mon pote ! », s’exclame l’un d’eux. Mais c’est sans compter la puissance de l’alliance anglo-américaine. Si la vidéo a été intégrée au dossier d’enquête britannique, en 2008 nouvelle révélation du Sun, les copies de la vidéo ont été perdues… Huit au total. Un beau foutage de gueule en somme. Mais que ne ferait-on pas pour l’ami américain…
Les caméras, malheureusement, arrivent souvent après les drames. Dans la vidéo qui va suivre, ce sont les premiers temps de la guerre en Afghanistan qui sont décriés. Les reporters de Reuters, seuls ayant l’autorisation de se rendre dans les zones talibanes, ne peuvent que constater les dégâts. 90 civils tués suite à une frappe aérienne. A la suite du reportage, on fait un crochet par le Pentagone qui nous rassure sur les précisions de leur technologie. A contrario, le général Mac Chrystal, chef des armées en Afghanistan, souhaite limiter les frappes aériennes « qui retournent la population contre nous (les Américains) » . Une manière de reconnaître de nombreuses bavures.
Les témoignages sont aussi une autre manière de mettre en péril les versions officielles. Dans cette vidéo, nous avons deux témoignages, illustrant la violence aveugle de l’armée américaine. Nous sommes dans les premières années du second conflit irakien. Un ex-militaire américain présent lors de la prise de Fallujah en novembre 2004 témoigne que la prise de la ville fut un massacre. « Les chefs m’ont dit, n’importe quelle personne que tu vois, qui marche dans la rue ou autre est une cible » . « Même les enfants, rajoute le militaire, il faut dire que ça arrivait de voir des gosses se battre ». La journaliste italienne, Julianna Sgrena, présente dans la ville à cette époque puis prise en otage par la suite, témoigne de l’utilisation d’armes non conventionnelles -Napalm pour la prise de l’aéroport de Bagdad en avril 2003- comme l’utilisation de bombes au phosphore. « La santé des gens a été très perturbée, je voulais les interroger mais je n’ai pas pu. A ce moment là je me suis fait prendre en otage par des insurgés irakiens ».
La journaliste de Il Manifesto n’est pas au bout de ses peines. A peine libérée, un mois après sa capture, sa voiture est attaquée par des soldats américains. Son libérateur, l’agent italien Nicola Calipari perd la vie ; Sgrena est blessée. Convaincue d’avoir été victime d’« une embuscade », elle ne croit pas à la « bavure ». Son témoignage au début du journal de France 2 le 6 mars 2005 :
Plus tard, la justice italienne s’empare de l’affaire et accuse directement un soldat américain Mario Lozano d’avoir tiré sur le véhicule. Une vidéo, effacée aujourd’hui par Youtube, démontrerait que la version de Lozano ne concorde pas avec la véracité des faits. Lozano expliquerait que le véhicule circulait sans phares alors que la vidéo prouverait le contraire. Un différent existe aussi sur la véritable vitesse du véhicule. De toute façon, les poursuites ont été abandonnées, Lozano n’a pas souhaité se rendre à Rome pour y être entendu et la justice a statué que seul le pays du militaire américain pouvait statuer sur son sort. Fin de l’affaire.