Parlons football. « Encore ? », me direz-vous. Oui encore, car comment faire autrement ? France 3 Espagne 1. Qualification. Il est minuit et, dans le quartier, ça hurle, ça klaxonne, ça piaille et ça refait le match autour d’un bistrot qui, habituellement, est fermé dès vingt heures. Parfois un verre se brise. Effluves de bière, rires hystériques…La nuit parisienne n’est pas très chaude mais c’est un air de juillet 1998 qui flotte sur la capitale française. « Zizou est revenu ! Le magicien est de retour », s’époumone le conducteur d’une camionnette de dépannage qui passe et repasse sous les fenêtres d’une clinique dont on peut parier que rares sont les malades qui dorment à ce moment-là.
A l’arrêt de bus, une petite foule s’est formée. Le panneau d’affichage annonce seize minutes d’attente mais personne ne râle. On parle à des inconnus, on dit sa joie après la qualification des Bleus en quart de finale. On se prend à rêver de finale (hé, ho, y’a le Brésil sur la route et ce sera tout sauf une formalité…). On trouve des excuses à Malouda, on célèbre les louanges de Vieira et on insiste, haut et fort, sur le fait que l’on n’a jamais douté de Zidane, lui que Le Figaro a qualifié de « Dieu vivant fatigué ». C’est drôle, personne ne dit plus de mal de Domenech, l’entraîneur qui préfère les bons mots - parfois faciles - aux mots sur le jeu, selon la formule d’un confrère de L’Equipe. Avec cette qualification sur laquelle personne n’aurait parié un centime d’euro il y a un mois, il a pratiquement rempli son contrat et la Fédération française de football aura du mal à le virer pour le remplacer par Laurent Blanc. Voilà le paradoxe qu’engendre chaque victoire de cette équipe de France.
On exulte, mais, d’un autre côté, on se rend bien compte que des gens insupportables vont eux aussi tirer profit de cette qualification. L’entraîneur, bien sûr, mais aussi Jacques Ier - qui a eu le nez creux en faisant sa réapparition la veille du match contre l’Espagne - et le reste d’une classe politique qui ne sait plus quoi inventer pour se gagner les faveurs d’une opinion publique minée par la lassitude et le cynisme. Je n’oublie pas non plus la conférence de presse, au lendemain du match, du vizir Villepin, lequel, semble-t-il, n’a guère renoncé à ses ambitions présidentielles. « Panem et circenses » (du pain et des jeux), la recette est vieille comme le monde. Ce qu’il y a de bien avec le football, c’est qu’il ouvre la voie à nombre de réflexions qui n’ont rien à voir avec le sport en lui-même. Prenez la victoire des Français contre les Espagnols. Ces derniers voulaient envoyer Zidane à la retraite mais c’est Zidane qui les a renvoyés - et de quelle manière - en vacances. Ce n’est que justice car les déclarations espagnoles d’avant le match étaient marquées par le sceau de la vanité et de l’orgueil. Cet orgueil habituel qui fait perdre la tête aux Ibères quand ils se sentent en position de force, comme c’est régulièrement le cas dans les relations bilatérales entre l’Espagne et le Maroc, mais ceci est une autre histoire. Non, en réalité, la défaite espagnole puise ses raisons dans une autre morale, celle qui, quand le monde tourne bien, punit le raciste car tel est le qualificatif que l’on peut employer sans grande hésitation à l’encontre de Luis Aragones, l’entraîneur du onze ibère. C’est lui qui, il y a près de deux ans, avait qualifié Thierry Henry de « nègre de merde ». Une injure qui lui a valu une « terrible » sanction de la FIFA : 3.000 euros d’amende. Une piqûre de moustique dans le dos d’un crocodile. Ah, Aragones et son nez aviné : l’exemple même du sale type qui sévit dans le football et qui, de temps à autre, est, Dieu merci, rattrapé par ses excès. Oui, rien que pour cela, l’Espagne ne méritait pas de poursuivre sa route dans le Mondial. Il y a aussi une autre raison pour laquelle les Espagnols ne pouvaient être vainqueurs.
On ne se moque pas impunément de l’âge des gens sans en payer le prix. Souvenez-vous de Jospin qui s’était laissé aller à quelques- fausses - confidences devant les journalistes à propos d’un Chirac « vieilli et usé ». Pour Jospin, ce fut, à mon avis, le début de la fin. Le signe annonciateur de sa défaite en 2002, même si son caillassage en mars 2000 à l’université de Bir-Zeit avait déjà largement entamé la stature d’homme d’Etat qu’il cherchait à construire. Mais revenons aux Bleus. Ceux qui les traitent de vieux offensent le respect que l’on doit aux plus âgés et ne font que suivre les sirènes d’un jeunisme insupportable. Un jeunisme qui régit les modes occidentales à un moment où la démographie démontre que l’on est plus que jamais dans l’âge des « seniors ». Vive les Bleus et vive les Rolling Stones ! Terminons cette chronique par une autre réflexion. En marquant le troisième but du match, Zidane a fait défaillir des milliers de Franco-Maghrébins. Pour eux tous, il était impensable qu’il prenne sa retraite, qu’il nous abandonne sans un « exemple » à citer (je sais, il ne parle guère et ne prend presque jamais position mais ce qu’il fait sur le terrain suffit…). Sans lui, c’est toute une communauté qui risque de se retrouver orpheline et ce n’est pas Azzouz Beggag qui y changera quelque chose. Mais ne soyons pas pessimiste car de nouveaux noms se profilent déjà, encore inconnus du grand public mais repérés par les spécialistes. Deux exemples en pousse chez les moins de seize ans, les fameux « Bleuets » : le défenseur Omar Benzerga et le demi-défensif (et capitaine des Bleuets !) Saïd Mehamha. Retenez bien ces deux noms, on en reparlera dans quelques années.
Mais en attendant que ces joueurs atteignent le haut niveau, on pourra déjà pavoiser à chaque exploit de Bilal. A l’inverse de nombre de Français, qui n’en savent rien, tout le monde sait en Algérie que celui qui porte le prénom du premier muezzin de l’islam n’est autre que Frank Ribéry. « Cette religion, l’islam, c’est moi qui l’ai choisie et c’est aussi elle qui me donne la force sur le terrain et en dehors », a dit un jour celui dont les dribbles sont capables de déstabiliser n’importe quelle défense, à commencer par celle du Brésil. On apprécie ces paroles dans une ambiance où l’on sent bien que l’islam sera un thème dominant de la campagne électorale de 2007 et où l’on se dit que les exploits de Frank-Bilal seront d’un grand réconfort pour ceux qui s’apprêtent à affronter les affres d’une stigmatisation politicienne.