Le musée de la Cité de la Musique, à La Villette, a réussi un coup exceptionnel avec cette exposition "We want Miles", qui permet de suivre, pas à pas, la carrière déconcertante du plus populaire trompettiste du jazz moderne.
La musique et le musée, malgré la tutelle des Muses, ça ne va pas trop bien ensemble, d’habitude. Eh bien le musée de la Cité de la Musique, à La Villette, a réussi un coup exceptionnel avec cette exposition We want Miles, qui permet de suivre, pas à pas, la carrière déconcertante du plus populaire trompettiste du jazz moderne.
En matière de jazz, la popularité des artistes fait souvent grincer les dents des amateurs : dans le cas de Miles Davis, s’il s’est imposé, c’est moins en poussant la romance (comme Louis Armstrong ou Chet Baker) qu’en bousculant les oreilles et les regards. Comme quoi on peut être à la fois un perpétuel novateur, s’imprégner des talents naissants, prendre les modes en marche et toujours rajouter une touche violente et très personnelle au menu.
Si cette exposition permet de comprendre quelque chose, c’est bien la passion de Miles pour la nouveauté, bonne ou moins bonne, et ce flair généreux qui le fait s’entourer des meilleurs sidemen, de plus en plus jeunes, et souvent turbulents : ils viennent, avec lui, jouer leur musique…
Du jeune souffleur fasciné par Charlie « Bird » Parker au sexagénaire perclus de douleurs qui ponctue de quelques notes pas toujours magistrales le foisonnement musical des jeunes pousse de Weather Report et les mélodies modales (mais rythmées à la hache) de Marcus Miller, après s’être compromis avec des rappeurs et avoir osé bidouiller, en avant-gardiste tâtonnant, les nappes musicales inquiétantes des premiers synthétiseurs, du classicisme chic des sessions avec le Modern Jazz Quartet au complet aux explosions volcaniques illuminées par John Mc Laughlin, Chick Corea et Mino Cinelu, on pourrait croire que ce n’est pas le même musicien – mais c’est le même homme. Celui qui, après avoir gravé, avec Coltrane, la perfection cool de "Kind of Blue", le plus vendu et le plus admiré des disques de jazz, a toujours jugé qu’il était urgent de faire autre chose.
L’exposition trace ce chemin : dans une belle pénombre, le parcours est sinueux, il mène de chapelle en chapelle, dans des sortes de cellules qui, par miracle, enferment le son sans le laisser sortir, et où l’on peut gaver ses oreilles tout en examinant photos, partitions, documents divers. Bravo pour la technique ! Attention toutefois : il faut, après avoir vu le rez-de-chaussée, revenir sur ses pas et descendre au sous-sol, et ce n’est pas très bien indiqué.
Ici et là, des concerts filmées sont projetés sur de vastes écrans, et l’on peut voir en noir et blanc la fabuleuse improvisation d’"Ascenseur pour l’échafaud". C’est un trait de la face mythique de Miles, comme ses amours avec Juliette Gréco, ses plongées dans la drogue, son orgueil de black et son admiration pour tous ces blancs qui éclairent le jazz, Mulligan, Evans, Zawinul, son engouement tardif pour un dandysme vestimentaire délirant – perruque de jais, lunettes noires d’insecte géant, gilets de torero, futals de chamelier psychédélique, trompette laquée, dos au public…
Les connaisseurs vérifieront de salle en salle que la vraie virtuosité de Miles, c’est son « oreille absolue » du tempo, qui rend ses chorus implacables, et, sur le tard, procure à ses ponctuations minimalistes toute la force de la nécessité : le mérite de l’expo, c’est de ne pas en faire un dieu de la trompette (cent instrumentistes, de Diz à Marsalis, le laissent techniquement sur le carreau), ni un ange de la création (il vampirise, fait de la soupe, bâcle des concerts), mais un sacré bonhomme que l’on peut voir, lors de son dernier concert à Paris, en juillet 1991 – projeté dans l’ultime salle, très intime, de l’expo, où des fous de jazz fraternisent, assis sur la moquette, avec des profanes sidérés… – grimacer discrètement pendant le solo nul d’un Herbie Hancock très mauvais et se lécher les babines pendant un chorus torride de Kenny Garett. Ne ratez pas ce spectacle (prévoyez 2 à 3 heures de visite : les films passent en boucle).
Lire ou relire sur Bakchich.info :
WE WANT MILES
Musée de la musique (La Villette)
Du 16 octobre 2009 au 17 janvier 2010