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I want Miles

7 octobre 2009 à 22h55
La direction de la cité de la musique a invité mon amie Bellâm à visiter en avant-première l’exposition consacrée à Miles Davis, « We want Miles ». Une visite privée commentée par le commissaire de l’exposition, Vincent Bessières. Voici de quoi vous donner envie…
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Je suis, comme la plupart d’entre vous, loin d’être une aficionado du jazz, je n’en écoute quasiment jamais, et Miles Davis est plus une icône dans mon imaginaire qu’autre chose. J’étais quand même très curieuse de mettre mes pas dans l’ombre d’un géant. I wanted Miles…

Miles…

Il est des artistes que l’on appelle par leurs noms, d’autres par leurs prénoms. Est-ce le degré d’intimité que l’on croit partager, une part un peu plus grande d’humanité ? L’homme et le créateur plus étroitement mêlés ? Nul ne le sait mais tout au long de la visite de l’exposition consacrée à Miles Davis, Vincent Bessières (Eminent spécialiste de jazz) n’utilisera que le seul prénom.

We want Miles… Un clin d’œil à un album nommé ainsi car il était sorti après une longue période de silence nécessaire à un homme brillant mais hélas brisé. Il s’éclipsa quatre années et revint encore plus solaire qu’auparavant. Flamboyant même. Succombant aux années 80 et leurs doses de clinquant et de pub. Quitte à revenir, autant faire claquer les limites, non ? Pour autant était-il dupe ? Il est mort en colère dit-on. Il a vécu en colère aussi, une tempête extérieure, intérieure, comme une compagne :

« Ce que je sais, c’est que l’année après ma naissance, une violente tornade ravagea Saint Louis. (…) Peut-être suis-je animé par son souffle puissant. Il faut du souffle pour jouer de la trompette. Je crois au mystère et au surnaturel ; or s’il y a quelque chose d’à la fois mystérieux et surnaturel, c’est bien une tornade. » Miles Davis

La trompette, le jazz, les voilà les deux gros mots qui rebutent bien des gens. Mais même si vous n’êtes pas clients de ce genre de musique, l’exposition « We want Miles » vous séduira. Car au-delà de l’histoire artistique, au delà de l’architecte du jazz, il s’agit bien d’un très bel hommage à un homme qui a traversé un siècle de changements radicaux (1926-1991). Par ailleurs, c’est la première exposition d’une telle ampleur qui est consacrée à Miles Davis. Celui-ci et Paris avaient une relation naturelle, qui prit corps dans une belle et brève histoire d’amour entre Miles et Juliette Gréco mais aussi par le fait que le dernier concert du musicien eut lieu à la Villette, quelques jours avant sa mort.

La visite se découpe en deux lieux. L’un en noir et blanc, l’autre en couleur, pour mieux signifier la rupture. Avant « l’électrification » et après, et à l’intérieur même de ces deux périodes, des découpages successifs. :

De Saint Louis à la 5éme rue : d’une enfance bourgeoise aux clubs new-yorkais, le rêve du be-bop.

Out of the cool : Invention et haine de soi.

Les albums de la consécration.

La liberté contrôlée : cure de jouvence et remise en jeu du jazz.

Miles électrique, nouvelle époque, nouveau look : Miles branché sur le rock.

On the corner, en quête du son de la rue : la noirceur du funk et l’impact de la boxe.

Silence, solitude et requiem : affres, vertiges et réclusion.

Star people : l’icône planétaire : mise en scène d’une légende, iconique et cathodique.

La mort.

C’est à travers ces chapitres organisés, que vous pouvez découvrir Miles Davis. C’est la vie d’un géant que nous offre la Cité de la musique. Il a été approché par les plus grands musiciens de son temps : Jimmy Hendrix, Keith Jarret, Marcus Miller, Prince, Chuck.D de Public Enemy, Herbie Hancock, John Coltrane, Quincy Jones, Charlie Parker etc. Il a joué avec les plus grands. Démesure, grandeur et décadence, l’homme est excessif.

Tant extra-ordinaire que la seule fois où il éprouve le besoin de s’arrêter, cela durera des années. C’est d’ailleurs à ce moment de l’expo que le travail colossal de l’équipe de la cité de la musique et de l’atelier Projectiles m’a le plus touché. Cette période trouble est symbolisée de manière concrète et l’effet ne se fait pas attendre, on touche du doigt l’espace d’une seconde la solitude d’un homme tant adoré, sous fond de requiem, les affres de la dépression…

Si la vie de Miles Davis se conjuguait plutôt en doré qu’en noir et blanc, il fût confronté aux problématiques de son époque, comme la place des noirs en Amérique du nord. À cette femme qui demanda à 300 musiciens de jazz de prononcer trois vœux, il aura cette réponse significative et terrible :

"BE WHITE."

Être blanc (Sentence visible dans l’exposition). Il a composé la bande son d’un documentaire (Egalement dans l’expo) consacré au premier boxeur afro américain à avoir été champion du monde poids lourd. La voix du boxeur résonne et la trompette de Miles lui fait écho :

« Je suis Jack Johnson, champion du monde poids lourd. Je suis noir, ils ne m’ont jamais laissé l’oublier ; D’accord. Je suis noir, je ne les laisserai jamais l’oublier ».

Miles Davis était boxeur amateur. La boxe le « sauvera » une fois d’ailleurs. Un sevrage sauvage réussi grâce à l’exemple de Ray Sugar Robinson. La drogue, autre problème récurrent de sa vie. Il y tombe, il se relève, il se bat, évite, tombe à terre, se relève, éternel boxeur de ses démons.

Et puis il y a les sempiternels problèmes des hommes : l’argent, la santé, les femmes. Elles se succédèrent dans son cœur et probablement dans sa musique tout le long de sa vie. Ma préférée restant Betty Davis, belle à tomber par terre, chanteuse reconnaissable entre toutes, essentiellement folle furieuse qui l’entraîna vers le rock et des sons plus électriques. C’est entre autres sur ce point que se rejoignent deux artistes extraordinaires : Miles Davis et Picasso. Deux génies comme deux ogres. On le comparait souvent à lui pour le syndrome des périodes. Période cool jazz, be-bop, jazz rock, comme si sa vie se décomposait en longues ou courtes plages d’expériences sans cesse chamboulées, mutations successives d’un homme qui ne supportait pas l’immobilisme et ne tolérait qu’une insatiable curiosité.

On dit de l’adaptation qu’elle est signe d’intelligence. Il était alors remarquablement intelligent. Se remettant, remettant en question sa musique, la musique, sa plus belle, sa plus fidèle maîtresse. Pourtant il disait :

« La véritable musique est le silence, les notes ne font qu’encadrer ce silence. ».

Au final, peut-être faudrait-il, pour mieux connaître cet être hors du commun se poser et prêter attention aux silences entre chaque note qui s’échappe de sa trompette. Car il l’avouait lui-même « Si vous compreniez tout ce que je veux dire, vous seriez moi ! ». Toute la complexité du personnage est là. Au sortir de l’hommage rendu par la cité de la musique, je me retrouve avec une curiosité décuplée, comme touchée par ce qui fut son principal moteur. Au final, cette exposition déclenche l’appétit, comme une mise en bouche façon objets.

L’attirail de l’existence de Miles Davis : Des trompettes, des sourdines, des photos, des films, des albums entiers, un son à la hauteur des œuvres, des instruments, « Ascenseur pour l’échafaud », des partitions, des vestes incroyables, Miles à un défilé de mode, Andy Warhol lui portant sa traîne, des pochettes de disques originales, une série d’œuvres d’art-peintures de Jean-Michel Basquiat, sculptures de George Condo, photographies de Lee Friedlander ou d’Anton Corbijn…

Une mise en scène à la hauteur du personnage : Chaque chapitre de sa vie s’ouvre sur une immense photo, s’illustre par des objets soigneusement choisis, des lieux d’écoute privilégiés, et surtout Miles presque vivant qui apparaît au détour d’un écran d’une taille imposante, toujours plus grand que nous. « We Want Miles » à voir absolument avant que cette exposition ne s’envole vers d’autres pays.

Je conclus par les mots d’un autre, Vincent Bessières « The Sorceser, Prince of Darkness, Dark Magus… Miles Davis est l’ange noir du jazz, nimbé d’une aura de mystère, fascinant, inaccessible, ayant goûté aux extrêmes, il s’impose comme une force occulte, alchimiste transmuant la musique, augure du jazz à venir, maître vaudou initiant le jazz aux mondes parallèles. Miles Runs the Voodoo Down. (…) La musique de Miles Davis est noire non parce qu’elle chante une négritude mais bien parce qu’elle absorbe et récuse une certaine luminosité que le jazz porte depuis les origines ». Si cette exposition se déroule quasiment dans le noir, ce n’est pas anodin. Miles Davis y reste toujours crépusculaire. La musique, la lumière de sa vie, elle, trouve refuge dans des « sourdines », lieux presque clos mais tout en couleurs vives…

Miles Davis avait l’habitude de jouer les yeux fermés et en tournant le dos au public. Certains y voient de l’impolitesse. Lui parlait de concentration. Il répondait aussi qu’un chef d’orchestre ne tourne jamais le dos à ses musiciens. Moi, j’émets l’hypothèse, après cette visite dans son monde, que c’était peut-être le seul moment où son orgueil démesuré s’inclinait, sa vanité capitulait, son égocentrisme fléchissait, et où il acceptait de s’effacer au profit de son grand amour :

La musique.

Bellâm

P.-S.

L’exposition, installée sur 800 m2 et divisée en huit espaces thématiques correspondant chacun à une « période » musicale de Miles Davis, Confiée à l’atelier Projectiles, une scénographie innovante entièrement pensée en fonction de la musique, proposera de petits salons acoustiques en forme de sourdines, le son live de concerts projetés à grande échelle et un dispositif « plug and play » inédit, qui permettra aux visiteurs de brancher des casques en face de repères d’écoutes, notamment leurs casques personnels !

Commissaire : Vincent Bessières, journaliste, rédacteur en chef adjoint du magazine Jazzman Commissaire associé : Eric de Visscher, directeur du Musée de la musique

Catalogue, sous la direction de Vincent Bessières. Texte principal de Franck Bergerot (coédition Editions Textuel/ Cité de la musique, 216 pages, 200 illustrations, 39 e TTC)

du 16 octobre au 17 janvier 2010 Tarifs : 8 e / Tarif réduit : 4 e Horaires : Du mardi au samedi de 12h à 18h / Le dimanche de 10h à 18h Ouverture exceptionnelle jusqu’à 20h les soirs des concerts du cycle We Want Miles. 01 44 84 44 84 • www.citedelamusique.fr

Manifestations associées Un cycle de concerts We Want Miles accompagnera l’exposition, à la Cité de la musique et à la Salle Pleyel, fin octobre (avec notamment le Wayne Shorter Quarter, le Joe Lovano Nonet, Wallace Roney) et fin décembre (dont Tutu joué par son compositeur, le bassiste Marcus Miller). Des projections de films, documentaires et concerts filmés auront lieu le week-end des 31 octobre et 1er novembre.

Gracias à La Negra Lundi c’est violon

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