Une affiche « choc », un poisson, la Perche du Nil, qui en trois étapes se métamorphose en kalachnikov. Raccourci d’un « échange » Nord-Sud, qui pourrait s’intituler « matières premières contre armes de destruction massive ». « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe »,dénonçait le nègre du Surinam dans Candide. Le regard porté par Sauper est le même : c’est à ce prix que vous mangez du poisson…500 tonnes de perche du Nil sont produits par jour à Mwanza, sur les rives du Lac Victoria. Ces filets charnus se retrouvent sur les étals de nos poissonniers, et au supermarché du coin. Fruit d’une « expérience scientifique », l’introduction de cette espèce carnivore a provoqué la disparition de 200 espèces indigènes. Dégat collatéral, l’écosystème humain est à son tour dévasté. Le « miracle économique » dont se félicite l’UE, est celui d’un pois(s)on, générateur de développement et de mort.
Urbanisation à marche forcée autour des usines de traitement , qui engendre une société sans repères et violente, exode rural des fermiers, réfugiés des conflits voisins tous attirés par ce nouvel eldorado, prostitution qui papillone autour des pilotes ukrainiens, explosion du SIDA, enfants des rues en quête de moyens de subsistance ou de paradis artificiels, comme les émanations du plastique fondu des emballages …de filets de perche ! La parabole de Darwin tourne à plein régime : la loi du plus fort, c’est le plus gros poisson qui bouffe les plus petits.
C’est surtout la puissante Europe qui continue à bouffer l’Afrique… Le plus fort finit par gagner : le système capitaliste, le Nord. Point d’orgue du film, une thèse-dynamite : les avions cargo n’arrivent pas les mains vides, mais les soutes pleines d’armes destinées aux conflits voisins, voire à de futurs conflits en Tanzanie. Mwanza, plaque tournante du trafic des armes en Afrique ? Une citation fait mouche : celle d’un pilote ukrainien livrant ses souvenirs : « Pour Noël, les petits Européens ont eu du raisin, les petits Africains des kalachnikov »…Le film s’enfonce pas à pas dans l’horreur. On est sur l’aéroport de Mwanza comme sur le Port d’Amsterdam, la désespérance transpire de chaque scène, chaque personnage. Y a des marins, et des pilotes qui boivent et reboivent à la santé des putains de Mwanza… Sauper présente son film comme « une allégorie ironique et effrayante du nouvel ordre mondial. La démonstration serait la même en Sierra Leone et les poissons seraient des diamants, au Honduras, ils seraient des bananes, et en Irak, en Angola, au Nigeria…Ils seraient du pétrole brut ».