Deuxième opus de la série de reportage-fiction proposée par Bakchich : Les contradictions de l’Algérie en un cliché. Un enfant qui dément tout. L’auteur Aziz Chouaki laisse filer sa plume sur cette photo prise à Alger en 2006 par Halim Zenati.
Bric à brac d’imaginaire, à première vue, ou cordonnier très mal chaussé.
Cette bouille de Gavroche d’Alger, au sourire solaire et si central, rayonne et capte le bouquet de signes à l’entour, ce qui donne une unité très arlequine à la composition.
Bouquet de signes, d’abord le numéro de la rue : 62. Tout pays possède sa propre symbolique des chiffres. Pour l’Algérie, ça se réduit en une poignée : 54, 62, 88, le déclenchement de la guerre de libération, l’indépendance, les émeutes qui ont accouché de la jeune et encore fragile démocratie.
Numéro 62, l’indépendance, tout est dans la fronde du sourire. Cordonnier de quartier, très Vittorio de SICA, ou Pasolini, « la vitalité du désespoir », sourire jusque dans le fond des yeux, gorgés d’indicible malice .
Sur la gauche, « Lucky Luciano », « mafia », « cosa nostra », tant de réponses à des questions jamais posées par les gouvernants, où comment s’articule le métissage culturel à la barbe (c’est le cas de le dire) de ceux qui le nient.
En français et en arabe, s’il vous plait, correctement politique du coup. Saïd, alias Lucky Luciano fait défiler la mythologie américaine des mauvais garçons qui réussissent, fric facile, nanas sémillantes et pouvoir total. Sacré programme dans la tête des 15 ans de ce gamin. A l’intérieur, une affiche , film de science fiction, Banzai, ou comment concilier le cuir et le numérique, l’antique et le technocosme.
En découpe autour de ses cheveux, Le prince Charles et Lady Diana, la princesse de toutes les chaumières, de tous les gourbis, de toutes les guitounes du monde. L’idylle tranquille, qui traverse les langues, les religions, les us. Sorte d’ex-voto du pauvre, talisman en A3, propre à conjurer le sort, à défier la misère, les attentats, l’adversité, pour dire.
Assis à son établi, marteau et colle à l’envi, ce gamin prend en charge le confort de la marche : il répare les chaussures, l’Algérie peut enfin marcher tranquille. En effet, baignant habile dans son placenta culturel customisé, quel plus bel équilibre que ce sourire, éclatant de naturel qui puise a propre force dans l’authentique et simple vérité du quotidien.
Cette photo déflagre à elle seule toutes les certitudes révolutionnaires concernant l’identité algérienne (pan-arabisme, etc)., elle met à sac tous les discours, toutes les tentatives de rapt dont, malheureusement la culture d’Algérie est sujette à chaque instant. Si d’aventure, la garde venait à être baissée.
Aziz Chouaki
Voir aussi Aziz Chouaki et la symphonie des mots