Ne touche pas à mon poste ! Ce jeudi 15 mai, les syndicats appellent à une grève générale dans la fonction publique, « Bakchich » ajoute une revendication supplémentaire à celles exprimées dans la rue : le droit à la sieste.
Des images réellement insoutenables : allongés sur le sol de leurs bureaux, les yeux clos, la tête légèrement relevée, les mains croisées sur la poitrine, des salariés dorment. Oui, sur leur lieu de travail, ces feignants osent roupiller et en pleine journée ! Heureusement le patron de l’entreprise nous rassure : ce temps de repos est compté sur leur temps de récupération – le déjeuner par exemple-. C’est donc le salarié qui se l’offre : un quart d’heure de « sieste » , cela fait un quart d’heure de moins passé à la cantine (France 5, « La sieste, quel boulot », mardi soir).
N’empêche : les salles de repos se répandent dans les entreprises où débarquent « coachs santé » et autres « relaxologues », avec l’objectif avoué et assumé d’améliorer le rendement. Reposé, détendu, le salarié est plus productif, plus efficace, surtout s’il est au contact de la clientèle, comme l’explique cette DRH d’un grand magasin allemand. A New York, des salles de repos payantes (14 dollars la demi-heure) sont aménagées pour le peuple des buildings. Une autre DRH (française) explique que sa boîte veut bien installer des fauteuils, mais pas des lits, à cause de la « connotation » de ces derniers. La sieste d’accord, mais surtout pas crapuleuse…
Et les prolos, ont-ils droit à leur fauteuil relaxant ? Pas vraiment ! Chez Peugeot, des ouvriers expliquent qu’ils doivent manger sur des caisses. Résultat : des travailleurs qui rentrent chez eux épuisés et qui dorment mal. Même constat pour les « plate-formes » d’appel téléphonique où laisser son ordinateur et son oreillette pour aller pisser est quasiment un privilège.
En fait ce bon reportage signé Chantal Lasbats entrouvrait la porte sur les conditions de travail déplorables des Français qui battent les records de productivité à « l’heure ». En durée de travail, nous sommes peut-être relax, mais en intensité de travail, nous sommes les plus excités, les plus stressés d’Europe. D’où cet autre record bien français : celui de la consommation d’antidépresseurs (trois fois plus qu’en Grande-Bretagne).
Dans ces conditions, inutile de rêver à « la sieste », du moins si on prend ce mot dans son sens plein et qu’il désigne vraiment non pas quelques minutes de récupération, octroyées par le patron, mais une véritable pause dans la journée. La sieste à l’espagnole, celle des pays méditerranéens, où on embauche tôt le matin, puis on revient chez soi pioncer un petit coup avant de recommencer la journée, jusqu’à très tard le soir est en voie de disparition dans les pays chauds où climatisation permet de gommer le climat. Dommage que cette émission n’ait pas traité ce sujet : l’uniformisation par Europe des modes de vie, des horloges, des rythmes vitaux. Les vaincus et les cocus de l’histoire sont les pays du Sud, ces Latins amateurs de vraie sieste, cette « sexta hora » (« midi » chez les Romains), bénie des dieux, apanage des tribus civilisées.
Même Sarkozy a dû en rabattre avec son « Union méditerranéenne » que les pays du Nord ont réussi à édulcorer. Si le président français avait annoncé clairement la couleur, nous l’aurions soutenu dans cette juste cause. Oui à l’Europe de la sieste, non à l’Europe des cadences infernales et des relaxologues !