Mardi soir, les Bleus sont donc remontés dans leur car pour rentrer chez eux. Triste sortie qui, disons-le, n’a guère été surprenante même si dans le football, peut-être plus qu’ailleurs, on a toujours tendance à croire au miracle. Bien sûr, cette équipe a joué de malchance, y compris lors de la rencontre avec les Pays-Bas où il s’en est fallu de peu pour que le score (au demeurant humiliant) soit différent et peut-être même en faveur des Français. Ne parlons pas de la blessure de Ribéry contre l’Italie qui, bien plus que l’expulsion d’Abidal, fut le tournant d’un match qui dès lors était plié. Au lendemain d’une défaite, la tentation est grande de pendre quelques effigies, de brûler ce que l’on a apprécié la veille ou plutôt l’avant-veille.
Dans cette débâcle, car c’en est tout de même une, le premier réflexe est bien sûr de se déchaîner contre Raymond Domenech, l’entraîneur de l’équipe de France. Comme je n’accorde pas un seul centime de crédit à la soudaine humilité dont il fait preuve depuis quelques jours, je vais me plier gaiement à l’exercice. Cela fait des années que ceux qui suivent le football savent que l’homme comme le technicien sont loin d’être à la hauteur. Parlons de l’homme d’abord.
Tout en morgue et en contradiction, il a su développer cette technique particulière de toujours donner l’impression que les questions qu’on lui pose sont idiotes ou hors de propos. De cette manière, il se donne les moyens de prendre l’ascendant sur son interlocuteur et d’éviter que la discussion ne prenne un tour plus critique. Les hommes politiques seraient bien inspirés d’étudier le « discours Domenech », ils y trouveront de bons outils pour parler dans le vide sur des tons qui ne souffrent d’aucune contestation. On pourrait citer mille exemples, notamment la manière dont a été arrêtée la sélection définitive des vingt-trois joueurs qui ont participé à l’euro mais il y a bien plus consternant. A la fin du match, alors qu’on lui a tendu le micro pour recueillir ses premières impressions, l’homme – qui aurait pu se douter que toute une nation était accablée dans ses foyers – n’a rien trouvé de mieux à faire que de demander sa compagne – une journaliste de M6 – en mariage ! Un instant surréaliste, à la fois mélange de vulgarité et de mauvais goût. « On a perdu, ouais, mais j’m’en fiche, j’vais me marier ».
C’est après ce genre de sortie que l’on doit se souvenir que le Raymond avait été interpellé par la police américaine pendant la coupe du monde 1994. Celui que l’on surnomme volontiers « l’intello du foot » – parce qu’il lit et va au théâtre ! – s’était alors fait prendre en flagrant délit de vente de billets au marché noir… No comment… Parlons maintenant du technicien. Lorsqu’il était joueur, Domenech était un destructeur. Un défenseur dont la mission première était de terroriser l’attaquant d’en face. Parfois, l’homme a trop pris à coeur sa mission et il a à son actif quelques os brisés pour ne pas parler de carrières. Vous allez me dire que cela ne signifie rien et qu’un défenseur, même s’il fut un bourrin, peut donner un bon entraîneur. Je n’y crois pas et cela me permet d’aborder le véritable sujet de ma chronique. Pour la beauté du jeu, on devrait interdire aux défenseurs de devenir entraîneurs. Une fois diplômés et assis sur leurs bancs, ils n’ont de cesse que d’imposer leur propre vue du foot, c’est-à -dire un sport où le vainqueur est d’abord celui qui a su le mieux défendre.
Voilà l’une des explications à propos du jeu mièvre auquel on assiste, par exemple, dans le championnat de France. Tout est basé sur la défense, l’attaque n’étant qu’un complément, certes nécessaire, mais que l’on ne façonne qu’en fonction de la défense d’en face. Il devrait y avoir des règles pour imposer aux équipes qu’elles fassent jouer un minimum de quatre attaquants et cela au nom de l’avenir du football car ce jeu, un peu à l’image du tennis où les joueurs de fond de court font la loi, commence à devenir ennuyeux. On y croise des entraîneurs qui préfèrent un bon zéro à zéro plutôt qu’une victoire où leur équipe aurait encaissé plusieurs buts. Je n’ai plus son nom en tête, mais j’ai entendu un jour un entraîneur de division une, confier que la victoire de son club par trois buts à deux était inquiétante en raison des deux buts encaissés. On rêve !
Pendant longtemps des voix comme celles de Pelé ou de Cruijff se sont élevées pour défendre le beau jeu. Quand il est devenu entraîneur de Barcelone, le Néerlandais est resté fidèle à ses principes : le jeu pour l’attaque et par conséquent pour le spectacle. A la limite, pour en revenir à l’euro actuel, c’est finalement une bonne chose – pour la santé du football – que les Pays-Bas aient infligés une fessée aux Français et aux Italiens. Et ce n’est pas un hasard, si l’entraîneur des Oranges est Marco Van Basten, un joueur qui a fait le bonheur de millions de spectateurs et dont on n’oubliera jamais les buts durant l’euro 1988. Il n’y a pas longtemps, j’ai assisté à un match de minimes dans la banlieue sud de Paris. Les deux équipes évoluaient avec cinq joueurs en défense et avec un seul attaquant en pointe. Essayez de vous souvenir de ce qu’étaient vos parties de foot quand vous aviez douze ans. Tout le monde à l’attaque, le plaisir des beaux gestes, la recherche du drible et du petit pont : en un mot, tous les ingrédients du hourrah football. Mais là , le spectacle qui s’offrait à moi était d’une tristesse absolue. Il ne fallait pas être devin pour deviner que les gamins avaient eu la tête emplie de consignes défensives par un entraîneur très sérieux bien décidé à leur inculquer « les fondamentaux ». Et c’est sur cela que je terminerai.
Le football est devenu un sport ennuyeux parce qu’il y a trop de gens qui s’y prennent au sérieux avec tout un vocabulaire pompeux qui leur donne une aura d’hommes rigoureux mais qui, en réalité, ne veut rien dire. Coaching, percussions, verrouillage, densification (du jeu), tous ces mots, c’est du « festi ». En réalité, les entraîneurs ne devraient être autorisés à prononcer que ces trois mots : L’attaque, l’attaque, et l’attaque.
© Le Quotidien d’Oran