Le 30ème Festival du Cinéma du Réel vient d’attribuer son grand prix à l’allemand Volker Koepp. Dans Holunderblüte, des gosses livrés à eux-mêmes observent avec pitié les adultes qui les entourent. Leurs jeux, leurs rêves, leur poésie et leur amitié font bloc aux désastres du chômage et aux ravages de l’alcool.
Notre petit monde ne tourne plus bien rond. Ce constat peut sembler évident, facile ou radical, mais c’est bien la vision qu’en a présenté la 30ème édition du Festival du Cinéma du Réel à Paris qui s’achève ce dimanche. Misères, faillites, aliénations, préjugés, guerres, exclusions, cités fantômes, sociétés spectacles, migrations clandestines, frontières assassines : les cinéastes du monde entier nous ont gentiment pris par la main pour nous coller sous le nez une dure, très dure réalité. Plombant. Déprimant. Enrichissant. Car oui, ouf ! le Réel se clôture avec l’entrebâillement d’une petite porte de sortie. En décernant le Grand Prix du Cinéma du Réel au film Holunderblüte du réalisateur allemand Volker Koepp, c’est une forme de résistance à ce monde en déshérence que le jury international a choisi de récompenser. Depuis 40 ans qu’il réalise, Koepp filme pour la première fois des enfants. Ceux-ci habitent la région de Kaliningrad, une enclave russe au sein de l’Union Européenne, entre la Pologne et la Lituanie. Après le déclin de l’empire soviétique, leur village est devenu fantôme et les adultes censés les encadrer absents. Chômage, misère, alcoolisme : les enfants de Koepp refusent cette sinistrose. Niet. Pas moyen. Ils ne grandiront pas dans ce monde-là.
Koepp choisit de camper les enfants du village de Gastellovo dans une nature qui, crise oblige, reprend doucement ses droits sur les plantations fermières. Paysages luxuriants, cartes postales envoûtantes, Holunderblüte est la mise en scène d’enfants sauvages version Belle des Champs. Car les enfants de Koepp sont beaux, incroyablement beaux même, souriants, rêveurs, talentueux, tournés vers les livres ou la peinture. Au fil des saisons, ils plongent dans les feuillages, roulent dans la neige, grimpent aux pommiers ou se balancent aux branches. Tout le contraire des adultes, que l’on devine à peine à l’image, si ce n’est dans de très rares séquences. Ils sont alors soit saouls, soit laids, soit prisonniers de leurs conditions tels ces casseurs de pierres symboliquement condamnés dans le film aux travaux forcés.
Holunderblüte est la métaphore de Peter Pan, un monde de liberté construit sur des règles d’enfants. Du haut de leur six, dix ou douze ans, ils parlent de l’inconscience des adultes, de leur incapacité à se prendre en charge, de leur bêtise, de leur méchanceté même : « Le problème, c’est que nous vivons dans un village où n’habitent que des alcooliques », considère ce garçon de dix ans, grand sourire, œil taquin, debout au milieu des fougères. Un autre, six ans, pendu à une balançoire de fortune, observe deux vieilles femmes éméchées se chamailler le champ de la caméra : « Quand je serai grand, dit-il, je ne boirai pas, je ne fumerai pas. J’irai travailler. Je serai conducteur ». Un autre encore, assis sur un tronc d’arbre, développe son utopie dans un face à face complice avec la caméra : « Mon rêve, c’est que personne ne s’engueule avec personne, que tout le monde soit complice, comme nous. Heureusement que nous sommes tous amis ici parce que sinon, nous serions assis chez nous, seuls, à regarder la télévision ». Encore une attaque en règle contre nos valeurs d’adultes. Résistons. Continuons de picoler. De regarder la télé. De nous battre. Ce ne sont pas des gamins qui vont nous faire la leçon.