Leilha, l’arlequin et l’îlotier
Une corbeille en osier, un pot à eau en barbotine avec deux hirondelles sur son tour, un bol de porcelaine rose léger comme un nuage : Leilha, dix-sept ans, apprenait beaucoup en les contemplant.Quelqu’un avait secoué une nappe dans l’invisible et les miettes en étaient tombées dans une brocante de Seine-et-Marne. Un christ en porcelaine blanche de Sarreguemines et un pierrot peint sur une assiette bleue, accroché par sa tunique à une branche d’arbre, attendaient sans impatience le jour de leur résurrection.
L’arlequin patientait dans la vitrine du brocanteur, donc. Il avait la taille d’un tout petit enfant. Ses yeux bleu myosotis étaient baignés par une douceur étrangère à ce monde. Assis sur une malle, un bras et une jambe manquantes, il regardait sans émois les passants. Quand ses yeux croisèrent les yeux de Leilha, elle entra dans la boutique pour chercher celui qu’elle avait adopté en une seconde. Le prix exigé par le marchand était accablant. Quand elle sortit du magasin, les mains vides, le coeur gros, elle sentit s’appuyer sur sa poitrine une chose aussi légère qu’une joue de biscuit : un petit arlequin aux yeux mystiques venait de s’allonger là, comme un coussinet de velours rouge, paisible, confiant.
Interpellée par des policiers, îlotiers de passage comme le sont certaines hirondelles, Leilha ne fut pas placée en garde-à-vue pour vol simple par l’OPJ de permanence. Cherchant en lui l’enfant qu’il avait été, le policier ne trouvait que son assassin. Touché par l’histoire personnelle de la jeune fille, il règla lui-même le montant du préjudice au brocanteur qui retira sa plainte.
Comme quoi, un hôtel de police héberge parfois de curieux humanistes exaltés.