Le conservatisme ludique et l’ambiguïté politique de Call of Duty : Modern Warfare 2, blockbuster de Noël 2009.
Avec 550 millions de dollars de recettes en cinq jours, soit plus de 6 millions d’exemplaires vendus, le First Person Shooter (FPS, jeu de tir à la 1ère personne) Call of Duty : Modern Warfare 2 (MW 2) développé par le studio américain Infinity Ward vient de créer un nouveau record comme bien culturel le plus vendu de l’Histoire en une semaine tous supports confondus (livres, cinéma, musique).
Il détrône l’ancien tenant du titre, le jeu vidéo GTA 4 et les 5,2 millions d’heures de jeu sur Internet enregistrées dès le premier jour achèvent de prouver l’engouement de la communauté des gamers pour le jeu.
Ces chiffres impressionnants sont à replacer dans le contexte du succès du précédent opus de la série, "Call of Duty : Modern Warfare" sorti en 2007 et vendu depuis à environ 13 millions d’exemplaires.
Le jeu innovait en rompant avec la sempiternelle seconde guerre mondiale pour s’inscrire dans un cadre contemporain et proposait une partie solo émaillée de quelques audaces narratives ainsi qu’un mode multijoueur ultra-efficace ayant grandement contribué à l’attractivité du titre sur le long terme. Deux plus tard, la suite est là et la question suivante se pose : Call of Duty : Modern Warfare 2 mérite-t-il son incroyable succès ?
Si l’on se place d’un point de vue purement technique, "MW 2" est un produit réussi. Les environnements de combat sont variés, vivants et incroyablement détaillés, les animations des personnages sont fluides, le feeling des armes est bon, les niveaux de jeux sont plus ouverts que dans l’épisode précédent et offrent une grande variété de situations d’affrontements, le rythme est effréné et les situations s’enchaînent sans temps mort, maintenant le joueur en permanence en éveil et sous tension.
Parfaitement maîtrisé et équilibré, le jeu offre de bonnes sensations de FPS aussi bien au joueur console débutant qu’au vétéran des FPS PC à condition pour ce dernier de jouer dans le mode de difficulté le plus élevé. Sur la forme, à l’exception d’un moteur graphique dont les premières rides se devinent, "MW 2" est inattaquable.
Nous pourrions en rester là et décréter qu’il s’agit là d’un jeu très réussi et vraiment divertissant avec un mode multijoueurs dans la droite lignée de son aîné même si l’absence de serveurs dédiés sur la version PC est une pilule un peu amère à avaler pour de nombreux joueurs.
Mais pour que le jeu vidéo accède enfin à la reconnaissance culturelle et sociale qu’il mérite, il faut accepter de le considérer autrement qu’à travers le seul prisme du fun immédiat et de l’entertainment.
En dépit de ses qualités de forme, MW 2 n’apporte strictement rien de neuf au genre du FPS du point de vue ludique. Dans ses pires moments, il se contente même de recycler de manière caricaturale les plus belles audaces narratives de l’opus précédent et de copier l’enchaînement de ses niveaux sur le plan du game design.
Pour aller encore plus loin, force est de constater que depuis que le génial Half Life (1998) a introduit le traitement cinématographique de l’action par les scripts (des actions déclenchés dans l’univers du jeu au passage du joueur), le FPS en est toujours au même point et MW2 ne fait rien pour apporter quoi ce soit de nouveau au genre.
L’emballage est plus beau, les scripts sont plus nombreux et mieux intégrés mais sous la façade technologique l’expérience de jeu reste quasiment la même qu’il y a 10 ans. C’est d’autant plus regrettable que plusieurs jeux ont montré avec brio qu’il était possible de renouveler le genre du FPS soit le fusionnant avec d’autres types de gameplay comme le RPG (Ex : Deus Ex-2000), soit en offrant un environnement de jeu ouvert (S.T.A.L.K.E.R-2007) ou en se livrant à une passionnante réflexion sur le genre du FPS en lui-même (Bioshock-2007). Ce dernier jeu par exemple pointait du doigt la contradiction entre le désir de puissance du joueur de FPS et son statut de pantin manipulé par une expérience linéaire offrant l’illusion du choix.
Rien de tout cela chez MW 2 qui en jouant la carte du premier degré et de la linéarité n’est au final rien d’autre que la version vidéoludique des montagnes russes avec la montée d’adrénaline et l’ivresse de la destruction virtuelle et massive comme seules émotions à offrir au joueur vivant la guerre comme un spectacle, les fesses au chaud sur son canapé.
De plus, en choisissant d’ancrer le jeu dans un futur extrêmement proche et d’envoyer le joueur sur des théâtres d’opérations symboliquement sensibles comme l’Afghanistan, MW 2 invite à une lecture politique des plus troublantes.
La première mission du jeu par exemple nous place dans un convoi patrouillant les rues étroites d’une ville afghane à la recherche de miliciens. Quelques secondes plus tôt, le briefing nous informait que « nous leur apportons la démocratie et cela vaut plus qu’une colonne de blindés ». Soudain, les ennemis surgissent et pris par surprise, le joueur meurt bêtement. Il se retrouve alors avec une magnifique citation de Dick Cheney sous les yeux le temps que la partie reprenne. On se dit alors que le jeu doit être sponsorisé par Fox News et qu’il s’inscrit clairement dans le courant de pensée néoconservateur américain.
Or, quelques twists plus tard, on apprendra que le méchant terroriste n’est pas celui que l’on croit mais que le véritable ennemi serait plutôt à chercher du côté du haut commandement allié. Notre mentor nous explique ensuite d’un air entendu que « ce sont les vainqueurs qui écrivent les livres d’histoire et qu’il ne faut pas laisser leurs mensonges entrer dans les livres » et à la suite d’une autre mort, c’est une citation de Mark Twain qui s’affiche à l’écran : « Etre un patriote, c’est défendre son pays quoi qu’il arrive et son gouvernement quand il le mérite ».
Au final, impossible de comprendre quoi ce que soit à ce bordel idéologique sans nom qui mélange un discours politique totalement incohérent à des rebondissements indignes de la plus mauvaise des séries B, comme si le jeu voulait désamorcer toute tentative d’analyse politique sérieuse tout en tirant les bénéfices de son approche militariste et faussement partisane.
Alors ? "Call of Duty : Modern Warfare 2" est un FPS américano-centré, linéaire, militariste, abordant des problèmes géopolitiques majeurs sous l’angle de la série B décomplexée et par-dessus le marché, un copier/coller peu inspiré de l’épisode précédent.
Sachant cela, la seule vraie question est : allez-vous l’acheter à Noël comme tout le monde ?
Call of Duty : Modern Warfare 2
Développé par Infinity Ward et publié par Activision
Disponible sur Xbox 360, Playstation 3 et PC
Prix de vente : 70€ environ
C’est pour vous si vous avez aimé : "Call of Duty : Modern Warfare", "Call of Duty : World at War", "Halo", "Killzone 2".
Bonjour tout le monde
Déjà, on ne le dira jamais assez : merci pour ces réflexions ! Ca fait vraiment du bien de voir qu’il y a des gens qui ne veulent pas voir les jeux vidéos seulement comme un divertissement. C’en est un, mais pas que !
Après, je pense que cet article pose les points principaux avec assez de clarté : immersion et fonction divertissante du jeu réussi à merveille (sans vraiment chercher d’originalité tout de même) ; "scénario", citations et intérêt (réel) du jeu à vomir.
Ce que je voudrais ajouter par rapport à tout ça, c’est que j’ai vraiment l’impression d’avoir joué à une sorte de "publicité" pour l’armée.En effet, tout le long du jeu, on nous envoie des images et des réflexions qui font passer les militaires pour des justiciers partis en croisade contre le mal…
Comme vous l’avez mentionné, la première mission nous montre déjà la limite intellectuelle du titre. La psoeudo-réflexion sur le rôle des militaires usant d’une comparaison creuse entre la démocratie et les blindés est déjà une sacré entrée en matière… Ensuite, lorsque l’aviation bombarde un immeuble, le personnage-joueur peut regarder autour de lui et voir les trois quarts des militaires avec leur téléphones portables en train de filmer l’attaque aérienne puis s’écrier "wahouh" quand le batiment s’écrase. On fait ici de la guerre-spectacle, ou il est juste amusant de balancer des bombes sur des batiments sous prétexte qu’il y a des "méchants" dedans. Et il faut bien noter que de toute évidence, les cris de joie sont bien un choix des développeurs, puisqu’il ne s’agit pas d’une vidéo réelle où on n’est pas responsable de la réaction d’autrui, mais bien des attitudes et des répliques voulues et appliquées. Bien sûr, on ne se pose pas non plus la question de l’éventuelle présence de civiles aux alentour (à qui d’ailleur on est censé apporter la "démocratie"),puisque de toute façon, il y a des objectifs et tant pis pour le reste. Et on n’est qu’à dix minutes de jeu…
Je ne vais pas développer tous les exemples, car on en trouve tout le long du jeu, à la fois dans les images et dans les répliques. On pourrait par exemple parler du moment où on voit très rapidement que nos chers collègues vont torturer un prisonnier (mission des favelas) sans que cela ne pose de questions morales (encore une histoire d’efficacité ?). Bien sûr, le joueur est invité à rire et à se dire "bien fait pour lui" en voyant le "méchant" attaché sur la chaise essayant de trouver un moyen de s’enfuir…
"Ce n’est qu’un jeu" me dira-t-on, "on n’a pas torturé de réelle personne". D’accord, ce ne sont que des images programmées par des développeurs, mais ce qui est tout de même choquant, c’est d’essayer de diriger autant la vision du lecteur sur les "faits", d’autant plus que l’opinion proposée est plus que discutable. Alors, soit le jeu vidéo est utilisé pour faire réfléchir, soit on garde une neutralité volontaire pour ne se concentrer que sur l’aspect divertissant. Mais pas ça : proposer au lecteur une opinion débilisante sur des évènements probables ; c’est vraiment une faute, non pas une erreur mais une faute, au moins morale !
Pour parler de cet épisode polémique, "Pas de russe", il y a là soit une erreur, soit une faute encore une fois morale, soit un coup "médiatique", si l’on peut dire. Je m’explique…
Pour l’erreur, c’est peut-être une erreur de la part de game designer qui aurait voulu faire réfléchir le joueur sur son action. En effet, le jeu vidéo a cet avantage de faire du consommateur un "acteur" du scénario. Du coup, le fait de faire tirer le joueur sur un tas de civiles pourrait à la limite le faire réfléchir soit sur le fait qu’il prenne du plaisir à tirer sur des gens, soit sur la question "La fin justifie-t-elle les moyens ?". Mais l’erreur de poids qu’aurait alors fait les designer, est qu’il ont traité cet épisode comme un film : le joueur peut être totalement spectateur de la scène et ne pas tirer une balle. Le bon choix aurait été de charger totalement le joueur de l’exécution des civiles pour avancer, ou de tirer la première balle ou au moins de donner l’ordre… L’épisode aurait pris plus de sens selon moi…
La faute morale serait de pousser le joueur à la vengeance, car choqué de l’horreur commise par le "grand méchant". C’est une faute morale dans la mesure où la vengeance n’est qu’une illusion de justice et qu’elle pousse parfois à des actes immoraux par la suite. Les développeurs parlent de "Pivot narratif et émotionnel", je pense que ça va dans le sens de cette interprétation de vangeance…
Et pour finir, il n’est pas impossible que les designer aient juste voulu "faire du bruit" et attirer l’attention sur leur titre grâce à un épisode "polémique", "choc". Cela aurait encore une fois été une erreur, vu l’image dont bénéficient les jeux vidéos aux yeux des médias débiles,et par conséquent aux yeux de l’opinion publique…
Après, à vous de voir entre ces trois interprétations…
Bonjour,
Merci pour ces commentaires encourageants. Pour répondre à Cyril : J’ai volontairement omis de parler de parler du niveau "No Russian" car il a déjà trop contribué à éclipser le contenu également polémique du reste du jeu. Un développeur le justifie en disant que c’était important en tant que pivot narratif et émotionnel. C’est bien là le problème.
Traité correctement, le même niveau aurait pu complètement faire basculer la perception du jeu et son message en interrogeant le joueur sur son rapport à la violence virtuelle et sa tolérance de celle-ci. Le problème une fois de plus et le traitement au 1er degré sans interrogation sur le sens de l’expérience.
Pour Nikobo, J’ai envie de reprendre la phrase Clémenceau : "Le jeu vidéo est trop important pour être laissé à la seule presse spécialisée". Le problème, c’est que les journalistes généralistes qui ont la culture et l’amour du jeu sont aussi rares que les doigts sur la main d’un manchot Question de génération sans doute.
Si ce que vous lisez sur Bakchich vous plaît, faîtes passer le message. Ce n’est que comme ça que les choses peuvent changer.
Cordialement