Alors que les révélations de WikiLeaks ont mis à mal la politique étrangère américaine et son programme "Af-Pak" (Afghanistan-Pakistan), entretien avec Guy Caussé, co-responsable du programme Afghanistan à Médecins du Monde depuis 25 ans.
Combien d’ONG humanitaires françaises sont présentes en Afghanistan, en particulier dans le cadre du collectif dont vous êtes le responsable depuis Paris ?
Une vingtaine d’ONG françaises travaillent aujourd’hui sur l’Afghanistan. D’ailleurs, quand on parle de l’Afghanistan, on évoque en premier les militaires qui, hélas, se font tuer, mais on oublie de dire que la France est engagée dans ce pays depuis 25 ans par l’action humanitaire. Paris a donc une légitimité sur ce pays, une légitimité qui est liée au peuple afghan. Depuis des années, on nous parle d’intérêts géopolitiques, mais je pense que jamais personne n’a donné la parole aux afghans ! La première des choses à faire serait d’entendre leurs voix, qui sont multiples et variées, mais qui n’ont pas beaucoup d’échos.
La force de l’humanitaire est justement d’être la « voix des sans-voix ». Si on peut relayer ce que l’on apprend sur le terrain et permettre ainsi une prise de parole, sachant que le peuple afghan a sa légitimité historique, culturelle, politique, cette légitimité politique pourra justement s’incarner, ce que ne permet pas le pouvoir en place actuellement. Il faut savoir que les Afghans ne se reconnaissent pas dans les Taliban, qui veulent donner au pays une marche basée sur l’aspect religieux et intégriste.
A propos de l’aide humanitaire internationale, la présence d’ONG occidentales est parfois justement perçue comme une forme de « colonisation ». Qu’en pensez-vous ?
Il faut gommer les excès de l’aide internationale : des entreprises multiples et variées qui publient des rapports pas toujours très utiles… C’est une forme de colonisation en effet, sauf qu’il existe un autre type d’action humanitaire dans lequel nous nous inscrivons, celui de l’accompagnement actif. Quand on sait l’intelligence, la volonté et la fierté des Afghans, on peut miser sur l’avenir car se sont des gens qui peuvent très bien se prendre en charge, à condition, j’insiste, de les accompagner et cela vaut dans tous les domaines (éducation, administration, etc.). Donnons de la dignité aux Afghans ! Ne soyons pas, surtout, dans l’exploitation d’un peuple et, même, d’un territoire. Notre légitimité ne pourra être entendue et respectée qu’à partir du moment où l’on respectera le peuple afghan. Il y a des choses à savoir sur ce pays, des choses dont on ne parle jamais. Le peuple afghan n’est pas inaccessible au progrès !
On a, semble-t-il, souvent l’impression inverse. Mais alors comment se traduit sur le terrain cette notion de progrès ?
L’Afghanistan est un pays difficile, en zone montagneuse. Or, on s’est rendu compte qu’en terme de communication, et c’est important, la téléphonie mobile a pris le dessus sur la téléphonie traditionnelle. Le moindre cocher avec sa charrette dans les rues de Kaboul dispose de son téléphone portable ! Une richesse dans les télécoms, la télévision, des journaux qui ne sont pas partout mais il y en a !
Question complexe et sensible, à propos de ce qu’on appelle le « militaro-humanitaire » : quels sont les rapports, les contacts sur le terrain entre les organisations humanitaires et les forces militaires ?
Qui dit militaire dit obligatoirement manipulation politique : le militaire ne peut être que le reflet d’une politique, il en est le bras armé. Les Afghans veulent être chez eux, point final ! Par la légitimité humanitaire, donnons-leur justement cette possibilité de vivre chez eux !
Il y a des situations sur l’aspect militaire qui ont suscité des polémiques. En juillet 2008 par exemple : 10 soldats français tués en Afghanistan. Sauf que le même jour, 60 civils afghans ont également été tués, mais presque personne n’en a fait écho. Pour beaucoup, la situation est assez floue : combattre des Talibans armés et en même temps, en tant que militaire, faire de l’humanitaire, et défendre une population en étant armé… N’est-ce pas un peu ambigu ?
Bien sûr. Et il y a plus de civils tués en Afghanistan que de soldats. Ce qu’il faut comprendre de manière générale, et ce qui est important, c’est que les Afghans ne veulent pas d’un pouvoir taliban. Ils n’en veulent pas, ils veulent vivre en paix mais ont besoin d’aide car c’est un pays très pauvre. Ils pourront ensuite faire leurs choix, sans qu’il y ait une mainmise étrangère sur leur territoire.
(En collaboration avec Explorer Humanity*)