La guerre du déficit est déclarée. Autour des caisses vides de l’Etat, gauche et droite se renvoient la responsabilité de la rigueur à venir. Le gouvernement veut faire porter le chapeau aux collectivités locales, majoritairement à gauche. Une stratégie qui masque d’habiles tours de passe-passe budgétaires, que « Bakchich » vous raconte.
La communication de l’Elysée était bien rodée : le déficit c’est pas nous, ce sont les collectivités locales… majoritairement à gauche. Vendredi 11 avril, Eric Woerth, ministre du Budget, a dégainé le premier contre ce coupable idéal : « L’aggravation du déficit public est liée à un dérapage des dépenses des collectivités territoriales ». Dans la foulée, la ministre des Finances Christine Lagarde a embrayé : « Elles n’ont pas fait preuve de la même maîtrise que l’Etat ». Les données de l’Insee sur lesquelles ils s’appuient leur donnent, a priori, raison : en 2007, l’Etat a allégé son déficit de 8 milliards d’euros, tandis que celui des collectivités locales s’est alourdi de 4 milliards d’euros.
Le procédé fait bondir les experts. « L’Etat est gonflé d’accuser les collectivités territoriales, qui ont une gestion plutôt saine de leurs finances », juge Gérard Bramoullé, économiste libéral professeur à l’université d’Aix-Marseille. La loi Defferre de 1982 oblige, en effet, les régions, départements et communes à présenter des budgets de fonctionnement équilibrés. Tout dérapage donne lieu à un rappel à l’ordre des chambres régionales des comptes, qui peuvent même faire exécuter un nouveau budget par le préfet. Une discipline à laquelle l’Etat n’est pas soumis : il peut recourir à l’emprunt même pour rembourser ses dettes. En cas de manquement, la Cour des comptes ne peut émettre que des « réserves ».
De plus, l’Etat est maître dans l’art de refiler ses dépenses aux collectivités territoriales. Depuis les lois Raffarin de 2003, ces dernières réalisent plus de deux tiers du total des investissements publics (transports, action sociale, logement). « Avec ce transfert de compétences, l’Etat s’est défaussé d’une partie de ses attributions sans l’intégralité des fonds pour les financer », explique Nicolas Bouzou, économiste au Cabinet Asterès.
Parmi ces nouvelles charges, le RMI (revenu minimum d’insertion) plombe les finances des départements. « L’Etat nous doit 2 milliards d’euros pour le RMI. Il nous transfère chaque année une somme fixe mais le nombre de RMistes ne cesse d’augmenter : la différence est pour nous », explique Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France. La logique peut même aller plus loin, selon l’élu : « En vue d’un transfert de compétence, l’État calcule ses dépenses dans le domaine concerné sur une moyenne de trois ans. En anticipant, il peut donc freiner ses dépenses pendant ces trois années, afin de transférer une subvention minimale ».
L’État est habitué à d’autres manips financières. Une petite ligne s’est, en effet, glissée dans le rapport de l’Insee, que le gouvernement s’est bien gardé de souligner au sujet des déficits publics : celle des « Organismes divers d’administration centrale ». Jusqu’ici largement excédentaires (plus de 10 milliards d’euros d’excédent en 2006), ces 800 établissements publics, regroupant notamment les Universités, le CNRS ou l’ANPE, ont brutalement basculé dans le rouge à près de - 3 milliards en 2007. La différence en un an ? Un grand plongeon de 13,1 milliards d’euros, du jamais vu !
Or, s’ils disposent d’un budget autonome, ces ODAC dépendent financièrement de l’Etat. Par un jeu subtil de vases communicants, celui-ci peut donc se serrer la ceinture et reporter ses dépenses sur ces ODAC. Un tour de prestidigitation pour faire disparaître artificiellement 13,1 milliards de déficit ! En termes juridiques, le procédé s’appelle une débudgétisation.
En 2004, la Cour des comptes avait déjà constaté la manœuvre. Depuis, celle-ci a pris de l’ampleur. Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), Agence de financement des infrastructures des transports de France (AFITF), ces organismes fleurissent aux côtés de l’administration traditionnelle. Création la plus emblématique des ces dernières années : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), chargée de mettre en œuvre le plan Borloo. A elle seule, elle efface 15 milliards d’euros de l’ardoise gouvernementale entre 2005 et 2009 !
Mais ces manoeuvres sur les collectivités locales et l’ODAC ne trompent pas tout le monde, notamment à Bruxelles. Pour la commission, le déficit général de la France s’élève à 2,7 % du PIB, loin des objectifs d’équilibre promis à l’horizon 2012 par Nicolas Sarkozy. Et cela, c’est difficile à planquer.
Si le gouvernement passe sous silence le déficit des Organismes d’administration centrale (ODAC), il ne manque pas de s’attribuer une légère amélioration des comptes de la Sécurité sociale. En 2007, son déficit n’est « que » de 1,6 milliard d’euros, soit deux fois moins qu’en 2006. Un reflux qu’Eric Woerth attribue « au plan d’alerte décidé en juillet dernier par le gouvernement ». Habile.
Sauf qu’il oublie de remercier la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Discrètement créé en 1996, cet ODAC, est chargé de combler le « trou » de la Sécu. Depuis, tous les gouvernements en ont fait une sorte de réservoir à dettes. Son activité sur les marchés bancaires a pris une ampleur phénoménale : en 2005, elle empruntait autant que l’Etat espagnol. En décembre 2007, il lui restait presque 73 milliards d’euros à rembourser.
Eric woerth ferait peut etre mieux de consacrer plus de temps et d’énergie à rédiger de plus serieuses lois pour lutter contre les nids fiscaux… les lois actuelles ont leurs limites et permettent encore aux petits malins de contourner la loi afin de s’arroger un fiscalité beaucoup plus "sympathique"
http://www.impots-utiles.com/les-limites-de-la-lutte-contre-les-abus-fiscaux.php