Au consulat…

… des Etats-Unis d’Amérique. Huitième arrondissement, juste en lisière de la place de la Concorde - farandole permanente de bagnoles - et du Crillon - l’hôtel préféré des roitelets africains. Barrières métalliques, blocs de béton, agents de sécurité en uniforme et casquettes rondes. On y entre délesté de tout ou presque. Pas de téléphone portable, pas d’ordinateur car aucun appareil électronique n’est autorisé à l’intérieur. On se déleste de son métal sonnant, on passe sous un portique (j’allais écrire un sas…) et on fait taire cette petite voix insolente qui pousse à demander s’il arrive que cette machinerie tombe en panne.

Quelques marches vite gravies, et l’on entre dans une grande salle où des rangées de sièges font face à des guichets qui courent le long de trois murs et où, démarcheurs et agents, séparés par du vitrage, sont obligés de se parler à travers un hygiaphone. Cacophonie, phrases sèches, intonations nasillardes, grésillement des micros, prise d’empreintes (index gauche puis index droit, s’il vous plaît), annonces des numéros appelés par des voix bilingues. Une ruche qui confirme cette phrase notée un jour à la volée : une salle d’attente, c’est le bruit (ou son absence), la patience (ou son manque) et le mouvement (ou sa rareté).

D’abord, comprendre le fonctionnement de l’endroit puis prendre un ticket qui souhaite la bienvenue à l’ambassade des Etats-Unis en France et qui rappelle que l’on a sélectionné un « Non-immigrant visa » (NIV). Il y a du monde, toutes races et toutes couleurs représentées. Deux blondes, une mère et sa fille se disputent en essayant de ne pas élever le ton. « Je t’avais dit qu’il fallait arriver plus tôt. On en a au moins pour deux heures ! ». L’adolescente, chewing-gum au bec, ne concède rien. « Ça n’aurait changé. Il y a toujours du monde, l’année dernière c’était déjà comme ça ».

A bien tendre l’oreille - que peut-on faire d’autre ? - on comprend qu’elle doit aller en « summer camp » pour perfectionner son anglais (ce qui explique pourquoi elle a besoin d’un visa). On devine, ce n’est guère difficile, que c’est la mère qui y tient bien plus que la fille. Apprends l’angliche, c’est l’avenir, doit-elle rabâcher en ignorant le concept de « langues utiles », parmi lesquelles le chinois et l’ourdou, que la mondialisation est en train de nous imposer.

Deux rangées à l’arrière, une Haïtienne, qui vit à Torcy, dans l’Est parisien, livre de longues confidences à sa voisine, une Gauloise. Elle a de la famille à New York et veut leur rendre visite mais avoue sa peur d’essuyer un refus de visa. « Ils sont devenus très sévères. Moi, je veux juste embrasser mes neveux », soupire-t-elle en fixant régulièrement le guichet où elle vient de déposer ses papiers. « Il faut leur montrer que vous n’avez aucun intérêt à rester là-bas. Dites bien que vous allez revenir en France », lui répond son interlocutrice qui ne cesse de faire craquer ses doigts. A côté d’eux, une jeune Sénégalaise écoute attentivement mais sans se mêler à la conversation.

A l’autre bout de la salle, un étudiant (algérien, car, « normal », où que l’on aille, on tombe toujours sur un enfant du bled), raconte lui aussi sa vie. Des études à l’école polytechnique d’Alger puis à l’université d’Orsay. Un matheux, évidemment, la filière française des mathématiques ayant toujours absorbé un flux permanent d’étudiants maghrébins. Aujourd’hui, misère et manque de moyens obligent, cette même filière est pillée par ses concurrentes d’Amérique du Nord lesquelles, et c’est une tendance nouvelle, sont désormais menacées par les établissements asiatiques qu’ils soient chinois, japonais ou singapouriens.

L’étudiant a les mains qui tremblent un peu. Il sait qu’il s’engage dans un long processus où il lui faudra sérénité et bon moral. Depuis les attentats du 11 septembre, les Etats-Unis attirent moins d’étudiants étrangers (leur nombre est inférieur à celui de 1999). Longues procédures et administrations tatillonnes en découragent plus d’un. Et puis, bien sûr, il y a aussi ceux qui n’essaient même pas de s’inscrire, notamment ceux des pays arabes. Dès lors, on comprend pourquoi autant d’universités américaines ouvrent des filiales dans le Golfe. La mondialisation, toujours et encore…

C’est au tour de la Sénégalaise et visiblement les conseils de la Gauloise ne sont pas tombés dans l’oreille d’une sourde. « J’ai toute ma vie ici en France. Mes affaires aussi. Je veux juste faire un peu de tourisme », jure-t-elle. Elle exhibe un paquet de documents mais le fonctionnaire lui fait signe qu’il n’en veut pas. « C’est bon, dit-il, votre demande de visa est acceptée ». Grand sourire de l’intéressée, plissement de lèvres amusé, un peu complice, du premier.

Retour à la mère et sa fille. Elles ne font même plus attention à baisser la voix. Appelées à un guichet, on leur a retourné le dossier car il manquait l’enveloppe chronopost prépayée. C’est ainsi, on ne retire pas son passeport, on le reçoit par la poste. Vous imaginez le stress de tous ceux qui, dans le monde, suent sang et eau pour obtenir ce précieux document de voyage. Voilà une autre ligne de facture planétaire. Il y a ceux pour qui perdre un passeport n’est rien d’autre qu’une contrariété et ceux qui dormiraient presque avec…

Un agent consulaire a indiqué aux deux blondes où se trouve le distributeur automatique d’enveloppes (rien n’est laissé au hasard). Oui mais voilà, problème, ni l’une, ni l’autre n’ont suffisamment d’argent. Mais tout rentre dans l’ordre. La mère finit par trouver quelques pièces dans son sac et après moult hésitations devant le distributeur, arrive à récupérer la précieuse enveloppe. Au même moment, l’étudiant est rappelé au guichet. Quelques paroles échangées, « on vous fera connaître notre décision dans quelques semaines ». Le long chemin…

On sort en même temps que lui. Sur le trottoir, en face de l’obélisque, on lui serre la main et on le suit des yeux alors qu’il s’en va dans la direction des Tuileries. Et là, à sa démarche décidée, on identifie enfin la sensation éprouvée à l’intérieur de la salle. De l’énergie. Une somme colossale d’énergie qui émanait de cette mini-population bigarrée, laquelle semblait déjà presque appartenir au pays pour lequel elle demandait un droit d’entrée, fût-il temporaire.