Le millionnaire André Guelfi, homme d’affaires international, livre à « Bakchich » quelques secrets. Les petits cadeaux aux chefs d’Etats pour faciliter le business ; la discussion avec un dictateur sud-américain pour le convaincre d’organiser chez lui une coupe du monde de football… Le sport, la politique, mais vus côté business.
Avant d’être aspiré dans les tourbillons de l’affaire Elf, qui lui ont valu en 2003 quelques mois de prison, André Guelfi dit « Dédé la Sardine », 89 ans, était le dernier des surréalistes et il aurait certainement plu à Marcel Duchamp quand il dormit, avec planqué sous son lit, un tableau de Pollock et un autre de Mondrian : « Un type qui me devait du fric m’a payé avec ces saloperies. Je ne pouvais pas voir ça accroché à mon mur. Je les ai rangés sous mon plumard… ».
Sacré Dédé. A 17 ans, commis de banque, il devient un spécialiste du recouvrement des créances perdues. En 1943 on le retrouve à Alger, agent du BCRA le service spécial de la France Libre. Et il est parachuté dans la France occupée. En 45, c’est en Indochine, avec le mythique commando Conus qu’il continue le combat, cette fois contre les japonais. A Saïgon, Guelfi découvre, non pas les bouddha en or dont il rêve, mais le business dans un monde où le code du commerce n’existe pas. Proclamé vendeur de pneus de l’Armée française, il fournit ses stocks en attaquant les camions chinois pour les dépouiller de leur gomme… Le début de la fortune.
La suite, pilote de Formule-1, patron du Coq Sportif ou de bateaux de pêche à la sardine en Afrique, intermédiaire discret sur de gigantesques contrats pétroliers entre Elf et la Russie, cet amoureux de l’art abstrait intéressera toujours Bakchich pour les anecdotes qu’il collectionne depuis 60 ans sur les coulisses du grand business. Sa tirelire en est pleine. Car ses affaires l’ont amené à fréquenter tour à tour le général Oufkir, l’ancien ministre de Franco Juan Antonio Samaranch, le président Boris Eltsine, le très répressif président ouzbek Karimov, ou le dictateur argentin Jorge Rafael Videla. Cela fait du linge.
Dédé a démarré sa fortune au Maroc dans la pêche à la sardine : « mes bateaux les avalent dans la mer et les congèlent aussitôt. Je livre toute l’Europe en sardines fraîches ». Copain d’Oufkir, reçu dans l’entourage d’Hassan II, il court en Formule-1 le Grand Prix du Maroc où il termine 15e. « Dédé le fou » fait cracher ses pistons sur tous les circuits d’Europe, mais en 1960, le tremblement de terre d’Agadir écroule son business de sardine et le voilà ruiné. Il se refait à Paris où, raconte-t-il, l’amitié d’un patron italien de chaînes d’hôtels lui permet de prendre le contrôle de quelques uns des plus beaux palaces de la capitale.
C’est alors que Christian Poncelet, l’actuel président du Sénat, lui demande en 1976,« de sauver le Coq Sportif », une marque d’équipement de plein air. Dédé débarque dans un nouveau monde dont il devient l’un des maîtres : le sport business. Compagnon de route d’Adolf Dassler, le fondateur d’Adidas, Guelfi et l’allemand se partagent tous les ballons, maillots, shorts et chaussures de sport de la planète à l’exception de ceux des USA. En fréquentant le Comité International Olympique, le CIO, Dédé sent tout de suite l’odeur de l’argent. Il comprend que le muscle et la sueur ouvrent un double marché. Celui du sport lui-même, mais aussi celui du pétrole, du gaz ou du béton.
Ami indéfectible de Juan Antonio Samaranch, ancien secrétaire d’Etat aux Sports de Franco et président du CIO, Guelfi peut rencontrer « tous les décideurs du monde »… Dédé devient même le pilote privé de Samaranch : « C’est moi qui avance les frais. Je ne demande qu’une seule chose à Juan Antonio, me présenter à ses interlocuteurs. Après ? Je me débrouille directement avec eux pour faire du business ». Le CIO devient alors la clé mondiale, le passe-partout qui permet à Dédé d’accéder, surtout alors dans les pays de l’Est, à des dirigeants puissants mais inabordables. Business aussi avec des dictateurs comme les généraux grecs ou l’argentin Videla, auquel Guelfi va organiser, en 1978, une parfaite Coupe du monde de football.
Les commissions, les cadeaux, le business avec des dictateurs, c’est ce qu’aujourd’hui il nous raconte sans trop chercher à fayoter auprès d’Eva Joly.
Lors d’une prochaine vidéo, il parlera de son embrouille avec le grand pétrolier Elf, qui lui a valu un séjour en prison et un procès en cours contre Total.
Ayant connu personellement André au Maroc , mon père y ayant remporté le championnat du monde de vitesse sur route sur Bugatti en 1928 , je l’ai souvent rencontré sur les circuits mon père courait encore tous les rallyes du Maroc jusqu’en 1953 .
Il est évident qu’il n’y a jamais eu de course de Formule 1 au Maroc . Sa mémoire flanche peut être un peu .Par contre il y a eu Fangio lors d’un circuit d’Anfa .
Agée moi-même de 81 ans j’aimerais bien rentre en contact avec lui ne seraait-ce que par mail. Merci
Oui, André Guelfi a raison d’appeler ça son travail car il a fait partie de ceux qui exercent la corruption comme une véritable profession, c’est-à-dire tout au long de l’année, en tirant de cette activité l’essentiel de leurs revenus. Je détaille leurs méthodes dans Profession corrupteur (edit. Gawsevitch, 2007) où je montre également pour qui travaillent ses confrères de la nouvelle génération, de jeunes loups de plus en plus "diplômés", et leurs filières de formation moderne.
C’est en enquêtant sur eux que j’en suis venu à découvrir les méthodes de corruption adoptées par des entreprises pour calmer certains syndicalistes (voir mon blog sur Bakchich). Mais il reste à découvrir encore beaucoup d’autres domaines où ses "intermédiaires" opèrent !
Roger Lenglet
Cher Professeur,
Personne n’a écrit que Dédé avait obtenu le Coupe du monde pour l’Argentine. Bakchich qui n’est jamais en vacances dit seulement que la Sardine a aidé Videla et ses amis à organiser la compétition. Sur le Grand Prix de Casablanca 58, les voitures ne portaient pas le nom de F1, mais c’est leur équivalent d’aujourd’hui. Dédé a bien couru, avec Fangio et autre, sur les F1 de son époque : Ferrari, Mercedes, Alfa, Mecedes. Le tout sans harnais, sans carbone à 300 à l’heure avec des pneus juste un peu mieux que ceux de vélo. Bonne vacances à vous. JM Bourget