Je suis sous le coup d’un reportage de bien belle facture, diffusé hier au soir par une chaîne du service public, et avec un quart d’heure d’avance par rapport à l’usage, s’il vous plaît, grâce à la suppression de la publicité digestive. En deux mots, nous sommes environnés d’ondes nocives, nos vaches périclitent sous des lignes à haute tension, et lorsque nous posons nos fesses sur un canapé chinois, nous risquons notre peau : certains génèrent eczémas et brûlures dignes du napalm. Quand on pense à tout ce que l’on peut faire sur un canapé, ça fait, si j’ose dire, froid dans le dos.
Pour les ondes, difficile de se faire une idée : apparemment, des tests « à l’aveugle », faciles à réaliser, pourraient éclairer nos lanternes, car si des antennes déconnectées en douce continuent de perturber, leur innocuité s’en trouve vérifiée (mais dans le cas contraire, que faire ? c’est là que le bât blesse !). Pour les lignes à haute tension, il semble qu’au moins une solution juridique ait été trouvée. Mais pour les canapés chinois, ah là là ! On est foutus. Le reportage montre à l’évidence que nos structures d’alerte et de contrôle sont nulles, pour ne pas dire : pousse-au-crime.
Figurez-vous que ces foutus canapés étaient signalés, avec le nom de leur producteur, leur provenance et tout, et même leur type numéroté, par des services anglais scrupuleux qui, voyant les dos de plusieurs sujets de sa Gracieuse Majesté desquamés comme des culs de singes (non, ne plaisantons pas : une horreur) ont lancé une alerte en bonne et due forme, et averti les bureaux de la Commission européenne. Laquelle, avec un sens des responsabilités sur lequel on doit absolument s’interroger, a spontanément décidé … de ne rien faire. En attente d’on ne sait quelle vérification, et pendant que s’accumulaient les dossiers des brûlés vifs, la Commission européenne, dans son immense bonté, veillait à ne pas publier le nom d’une entreprise chinoise, pour ne pas lui nuire. Du coup, on ne voit pas à quoi pouvait servir l’alerte, si ce n’est à la distraction des fonctionnaires européens.
Il s’en peut conclure que la Commission européenne n’achète pas ses meubles chez Conforama, et ne se vautre pas dans des canapés de bas de gamme importés d’un Extrême-Orient fertile en ruses commerciales et en dragons. Mais il est bien clair que, pour une entreprise européenne de haut de gamme, cette application du principe de précaution (commerciale) aurait été aussi libérale, et même cent fois plus prudente. Nous l’avons donc échappé belle : j’ai personnellement acheté un canapé l’année dernière, et, par bonheur, mes fesses sont intactes. Ouf !
Résumons-nous : la Commission européenne, gardienne du laiser-faire-laisser passer, règle d’or du libéralisme, est, dans cette affaire, complice. Retour de manivelle pour les Anglais, qui l’ont éduquée dans ces principes (on se souvient des sermons de la Thatcher de sinistre mémoire, et de ses chantages). Rien ne doit brider, en tout cas, la libre circulation des merdouilles, pour autant qu’elles génèrent du fric. Comme cela se chantait dans Palace, l’Europe, c’est aussi cela ! L’Europe, ce n’est pas seulement l’ Hymne à la Joie entonné des matines aux vêpres pour célébrer une paix qui n’a été troublée que par quelques génocides dans les Balkans sans qu’on n’y puisse rien faire ; ni l’éducation à l’orgasme plurilinguistique des étudiants via Erasmus ; ce n’est pas seulement la chance historique donnée aux dirigeants des pays les plus corrompus de la Mittel-Europa (il y a concours) d’occuper le siège du boss pendant six mois avant de passer la main à d’autres dirigeants représentant des paradis fiscaux grands comme des cantons suisses ou des nations imbibées de catholicisme antisémite et d’alcool fort ; ce n’est pas seulement un tremplin pour Sarkozy et une scène de music-hall pour Cohn-Bendit : c’est une grande machine à parler de dépollution le lundi et à laisser circuler toutes les merdes lucratives les autres jours de la semaine.
Les discussions de marchands de tapis sur la crise climatique étaient déjà désolantes, l’on ne bluffera pas grand monde, en dehors du Figaro, si on analyse les résultats de sommet sur la question : ils illustrent parfaitement le proverbe slovaco-polonais « qui veut le moins peut le moins ». Mais les marchands de poisons ont de beaux jours devant eux : tandis que l’on s’escrime pour contraindre à la pasteurisation des calendos, voire à la protection des criquets bleus en zones humides, et qu’on fait semblant de renoncer au calibrage des légumes pour mieux continuer à autoriser leur production abreuvée d’antibiotiques dans des serres espagnoles peuplées d’esclaves immigrés, on ménage Monsanto, on respecte la chimie des tueurs d’abeilles « faute de preuves » et on écoute avec compassion le long hurlement de douleur des céréaliers qui, après avoir doublé leurs bénéfices, se retrouvent (disent-ils) sans un pour acheter leurs tonnes de nitrates et leurs wagons d’herbicides.
La conclusion fut merveilleusement tirée par un fonctionnaire de la Répression des fraudes, que l’on sentait bien embarrassé, et on le serait à moins : il lui revenait d’expliquer qu’en ne communiquant pas aussitôt au vendeur le nom de l’entreprise qui collait des sachets toxiques dans ses futons pour les empêcher de moisir, la Répression des fraudes n’avait fait que ce que prescrivait l’Europe : tout était, je le cite, « normal » (mais il souffrait à dire ce mot terrible). En clair, il est normal que, pendant un temps non précisé, les petits sachets planqués dans les coussins aient continué à cramer le prolétaire, sans que les distributeurs sachent quels modèles ils devaient retirer de la vente. Les informer pour économiser des victimes ? Ça, on peut pas, ça serait pas bien. Rideau. Puis, en aparté – merveilles du « off » ! - il confia aux enquêteurs tout le poids que pesaient les entreprises européennes et nationales dans ce type d’affaire. Que si l’on dénonçait les chinois, elles redoutaient qu’on se mette à vérifier de près leurs trucs à elles, et, possiblement, à lancer des alertes et des zinzins comme ça, nuls pour le commerce et contraires aux voeux du MEDEF. Alors, dit finalement le fonctionnaire honnête, « Ça coincerait grave … ».
Mais d’ici là, gare à vos fesses !
Ah que ça fait du bien, un article de bonne facture, écrit dans un français impeccable et plein d’humour !! Hélas, ce qui en fait moins (de bien), ce sont les merdes que l’on nous fourgue sous prétexte de mondialisation…
Continuez dans cette même veine et avec la même verve, un régal.