Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Nancy Huston, le Nord, le Sud et l’enfance

vendredi 27 octobre 2006 par Akram Belkaïd
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

On finit toujours par s’en vouloir pour sa paresse ou sa timidité. Il y a quelques années, après la lecture d’un essai de l’écrivain Nancy Huston, intitulé Nord Perdu, j’ai pensé à lui écrire pour lui dire que les sentiments ambigus qu’une Canadienne anglophone installée en France pouvait éprouver à propos de l’identité et du langage n’étaient finalement guère différents de ceux d’un Maghrébin parti de sa ville blanche pour, croyait-il, quelques semaines avant de s’éveiller un matin dans la peau d’un exilé.

Dans l’un des chapitres de ce livre, N. Huston, évoque le Nord, le « Grand Nord » qui a laissé sur elle une marque indélébile pour la simple raison qu’elle y a passé son enfance et que « rien ne ressemble à l’enfance ». Un Nord, qu’elle affirme, peut-être à tort, avoir trahi et perdu.

A l’époque, plusieurs amis m’incitaient à demander ma naturalisation et ma réponse, ironique, était - je crois l’avoir déjà écrit dans une chronique précédente - toujours la même et cela bien avant d’avoir lu cet essai. « Pas envie, je compte m’installer dans les Territoires du Nord-Ouest, là-bas au Canada, au Nord de l’Alberta ». Pourquoi les Territoires du Nord-Ouest me demandait-on ? Parce que le Nord et l’Ouest, répondais-je. Le Nord, parce que ce mot est magique quand le Sud où l’on a vécu son enfance devient trop brûlant et qu’il n’engendre que déceptions et colère. Oui, quand hurle le vent de la discorde, le Nord devient pour les enfants du Sud une terre promise, un objectif vital. Et pourquoi l’Ouest ? Parce que lorsque l’on vient d’un Sud qui a un peu trop regardé - et doublement - du côté de l’Est, alors là aussi, l’Ouest est synonyme de libération et de souffle salvateur.

Certes, le soleil se lève toujours à l’Est mais aujourd’hui, quoi qu’on en dise, la lumière vient de l’Ouest. Cela ne durera peut-être pas mais c’est la réalité. Il ne s’agit pas d’une quelconque allégeance mais d’une constatation désabusée. Les trains passent et nous, gens du Sud, comptons les wagons pour tromper notre ennui et oublier notre impuissance.

On dirait le suuddd

Je n’ai pas écrit ma lettre à Nancy Huston mais sa réflexion vient de rejaillir doublement à la surface de mes pensées. Il faut d’abord que je vous parle de tous ces amis, mes amis, qui, comme moi, comme d’autres, ont trahi eux aussi leur Sud en quittant l’Algérie. Ils se sont égaillés dans toute la planète : France, Allemagne, Belgique, Espagne, Grande-Bretagne et bien sûr Canada. Ces dernières semaines, deux camarades ont fait route pour ce pays. L’un est parti d’Algérie tandis que l’autre a quitté la France où il vivait depuis dix ans. Le Canada serait-il devenu notre dernière frontière ? Pour le premier, la situation est classique. La vieillissante Europe est cadenassée et l’appel d’air vient d’outre-Atlantique. Le cas du second est plus intéressant. « Pourquoi quitter la France ? », pourrait-on lui demander et sa réponse serait sûrement la suivante : parce que le Nord, la quête permanente du « non-Sud », un peu comme ces espèces en danger qui, dit-on, migrent actuellement vers le pôle (nord) en raison du réchauffement climatique. Il y a dix ans, cet ami quittait son Sud pour un Nord qui, juge-t-il aujourd’hui, tend à se transformer en un autre Sud.

Pour lui, la France régresse et ne cadre plus avec l’image qu’il s’en faisait. Un Nord a toujours son Nord dirait monsieur Jacques De La Palice, et quand on le réalise, alors les valises se refont et le convoi s’ébranle de nouveau.

Le départ de ce camarade est troublant. Que faire quand des murmures nocturnes et autant de prémonitions vous exhortent à déguerpir très vite de l’Hexagone avant qu’il ne soit trop tard pour les Ben-, les Bel-, les Aït-, etc. ? Est-ce la perspective d’une présidentielle qui, au printemps prochain, risque de déboucher sur, c’est au choix, le chaos, l’aventure ou l’ordre musclé ? Je sens que je vais encore me laisser aller à la facilité en parlant de racisme et d’islamophobie. Allez, stop ! Il n’y a pas de raison. Si le baston doit venir, qu’il vienne. Ici, c’est encore une démocratie, un Etat de droit, un pays où l’on peut, pour le moment, écrire ce que l’on veut, croire en qui on veut, sans se retrouver devant un juge. Et puis partir, n’est-ce pas trahir une nouvelle fois ? Trahir ce pour quoi l’on a déjà trahi ? Pas simple.

L’autre raison pour laquelle je vous parle de Nancy Huston, c’est parce que je viens de terminer son dernier roman, Lignes de Failles, chez Actes Sud. Chaudement recommandé par la journaliste Rebecca Manzoni de France Inter, j’y suis entré en apnée et je ne peux qu’inciter ceux qui sont père ou mère à le lire. C’est un périple en quatre temps et à quatre voix - un enfant de six ans, son père lorsqu’il avait six ans, sa grand-mère puis son arrière-grand-mère, elles aussi au même âge. Il y est question de ces secrets de famille, de ces douleurs que les enfants ressentent puis transmettent, volontairement ou non, une fois devenus adultes. On y parle aussi, entre autres, du Mal, des crimes nazis, de l’Amérique de Bush, de Sabra et Chatila, de la musique et de chants sans paroles. Il faut le lire, c’est un conseil totalement désintéressé.

Et à propos de l’enfance, j’aimerais revenir à Nord Perdu et vous livrer un extrait qui devrait interpeller tous les traîtres au Sud et, peut-être, s’ils savent bien déchiffrer ce message, leur donner un peu de baume au coeur. « On peut, écrit N. Huston, conférer aux êtres d’origine étrangère la nationalité française, les ‘naturaliser’, comme on dit pour les animaux que l’on empaille, on peut leur donner des diplômes français, des honneurs français, voire l’immortalité française » (ça vaut donc aussi pour Assia Djebar ! )… Ils ne seront jamais français parce que personne ne peut leur donner une enfance française. » On en revient à ma première chronique d’il y a plus d’un an — et pour laquelle certains me font toujours la tête - sur les différences supposées entre Blédards et Beurs. Le Blédard, né au Sud, aura ainsi toujours du mal à se sentir français parce que son enfance est d’ailleurs. Il se consolera en se disant que ses enfants, à l’enfance française, ne devraient pas connaître les mêmes atermoiements (à condition toutefois que les excités de l’identité se calment). Enfant du Sud, migrant au Nord, blédard empaillé, pardon naturalisé, enfance algérienne : voilà une nouvelle manière originale de se définir mais est-ce vraiment la bonne ? A suivre.

Paru dans le Quotidien d’Oran du 27 octobre


BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte