En 20 ans de dictature mafieuse, l’on a beaucoup épilogué sur la dégradation du système scolaire et universitaire, sur la détérioration du système éducatif, sur le détournement des deniers publics et l’opacité dans la passation des marchés.
Sur ce champ de ruines que laissera à son départ la mafia issue du coup d’État du 7 novembre 1987, l’on ne parle pas ou très peu du délabrement des moeurs et des valeurs morales. Loin de nous l’idée de nous positionner en objecteurs de conscience ni de juger les comportements moraux de chacun. La liberté est au contraire l’une de ces valeurs que nous avons toujours défendues et continuerons de défendre de manière inconditionnelle.
Il se trouve cependant qu’au moment où le régime et sa presse aux ordres fête en grandes pompes le 50 ième anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel (CSP), libérant la femme du joug de la dictature machiste, abolissant la répudiation et la polygamie et consacrant l’égalité entre les sexes, cette même propagande officielle et officieuse présente Ben Ali comme le digne continuateur de l’héritage bourguibien et ne dit mot sur le fait que sa police tabasse et maltraite les femmes démocrates et que sa proche famille, en l’occurrence son neveu Kais Ben Ali et le fils caché de son épouse, Imed Trabelsi, dirigent respectivement dans la région du Sahel et dans la capitale des réseaux de prostitution où de jeunes filles souvent encore mineures sont jetées sur le trottoir et deviennent des adultes aigries sans avoir quitté l’âge de la puberté.
C’est à ce phénomène nouveau que le journal L’Audace s’est intéressé et ne manquera pas de publier sur plusieurs numéros des interviews et témoignages de prostituées que nos correspondants ont récoltés au cours des dernières vacances estivales.
Il s’agit en effet d’un phénomène infiniment grave, d’autant que ce marché juteux profite essentiellement à des ripoux bénéficiant de protections au plus haut sommet de l’État d’une part, et à la police politique, d’autre part. Nous y reviendrons plus loin dans cette enquête…
Mais d’abord, comment un pays millénaire, aux traditions ayant toujours conjugué modernisme et hautes valeurs morales a-t-il pu basculer en une génération dans la perte de tout repère ? Il est temps que les sociologues se penchent sérieusement sur ce phénomène.
Deux anecdotes absolument authentiques mériteraient d’être relatées dans ce contexte pour expliquer l’implication de l’État dans la détérioration de la situation.
Il y a quelques années déjà, L’Audace avait évoqué sur le ton du sarcasme et de la dérision l’autorisation délivrée aux homosexuels de s’adonner à la prostitution sur la voie publique. L’on avait ainsi constaté que, sur les avenues, des hommes faisaient le trottoir, munis de "patente" délivrée par le ministère de l’Intérieur. Vive le progrès et le modernisme ! À chacun de se faire son propre jugement de cette pratique tolérée en terre d’islam par les plus hautes autorités de l’État au nom d’un modernisme illusoire. Car l’on aurait aimé ressemblé à l’Occident en lui empruntant les valeurs de liberté et de démocratie plutôt que de le singer en perdant son identité. Mais si le directeur du Cabinet présidentiel est lui-même un farouche défenseur de l’homosexualité, il semblerait qu’il n’y ait plus rien à redire…
La deuxième anecdote, infiniment plus grave, concerne le cas d’un père de famille qui aurait tenté de se suicider et nous ignorons à ce jour le sort qu’il s’est réservé. Modeste ouvrier, notre homme a été excédé une nuit par les retours au bercail à l’aube de sa propre fille. Celle-ci est en effet majeure (21 ans) mais vit toujours sous son toit. Il finit donc par la tancer gravement et se permit même…de la gifler. Quel père n’a-t-il pas giflé un jour ou l’autre sa fille pour la corriger ? Toujours est-il que le lendemain, elle se dirigea vers le poste de police du quartier pour déposer plainte contre son propre père. Les policiers eux-mêmes, qui ont rédigé le procès verbal, tentèrent en vain de l’en dissuader. Finalement, une séance de "réconciliation" a été organisée au poste de police entre le père et la fille pour éviter cette première en Tunisie en convainquant la fille de retirer sa plainte. Elle finit par accepter "à une seule condition", dit-elle : "que je lui rende la gifle qu’il m’a donnée". Pour ne pas avoir à aller en prison laissant derrière lui toute une famille dans le besoin, le père accepta "le marché". Et l’indigne fille d’envoyer un soufflet à son géniteur devant des policiers eux-mêmes décontenancés. Le père ne s’en remettra plus…
Les histoires de ce type peuvent se mutiplier à volonté qui démontrent qu’en deux décennies, la société s’est dévergondée à l’image de ces jeunes filles encore scolarisées que l’on observe souvent couchées à même le sol dans les rues de la capitale, saoules ou droguées…
Ce sont les services de Mohamed Ali Ganzoui (le secrétaire d’Etat à la sûreté déchu récemment de ses fonctions et spécialiste de tous les coups bas) qui, dès le début des années 90, a imaginé la mise sur le marché de très belles filles ou "putes de luxe" pour infiltrer des personnalités nationales et étrangères et obtenir le maximum de renseignements à leurs sujets. Le sous-fifre du ministère chargé de cette sale besogne (recrutements, enrôlements, missions et collecte des comptes-rendus) était l’un de ses collaborateurs Mohamed Ennaceur Hless. Et c’est en collaboration directe avec la Brigade des moeurs, que cela se faisait. L’on sait ainsi, par exemple, que dans les beaux hotels de Sousse, Hammamet ou Djerba, l’on présente sur albums des photos de filles de joie à des personnalités pour les mettre dans leurs pattes. D’autres filles plus expérimentées sont chargées de faire elles-mêmes le boulot et approcher leurs proies masculines.
J’ai été au début de l’année 90 témoin indirect d’une telle infiltration. J’enquêtais à l’époque sur le démantèlement d’un réseau de prostitution dans la banlieue d’Ezzahra, impliquant entre autres une femme de colonel de l’armée, affaire qui avait mis en émoi toute cette petite banlieue balnéaire du sud de la capitale.
Une coiffeuse, surnommée Leila papillon, qui exerçait dans cette banlieue était de mèche avec de richissimes hommes d’affaires et personnalités libyens. Elle recrutait des femmes tunisiennes et des jeunes filles fort élégantes, commençait par leur revendre à crédit toutes sortes de produits de luxe importés. Et dès lors que ses proies croulaient sous la dette, elle leur proposait de s’en acquitter discrètement en donnant du bon temps à ses mentors. Parmi les victimes, il y avait effectivement la femme d’un colonel dont nous tairons l’identité. J’étais donc dans le bureau du directeur de la Brigade des moeurs lorsqu’on lui signala l’arrivée d’une dame qu’il s’empressa de faire entrer dans son bureau. Elle ne me semblait pas Tunisienne, mais Suédoise ou Néerlandaise. Celle-cit s’assit et nous laissa poursuivre notre conversation. Le directeur de la Brigade des moeurs s’adressait à moi en tunisien, s’exprimait dans un langage au dessous de la ceinture, et cela ne me dérangeait pas outre mesure puisque cette jeune femme était étrangère à mes yeux, donc non sensée comprendre l’arabe. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’à la fin de l’entretien, il s’adressa à elle en tunisien lui demandant en substance où elle en était dans sa mission. Je n’en revenais pas. Je prenais congé de ce monsieur lorsque, me raccompagnant à la porte, il me dit d’un air coquin : "nous savons tout, M. Bagga". Sans plus de commentaires… Car ces femmes recrutées sont en général forcées d’accepter ces missions pour protéger un père, un frère, un mari en mauvaise posture, risquant la prison pour chèques sans provision, malversations etc.
Alors, peut-on encore dire que le régime de Ben Ali a poursuivi et enrichi l’oeuvre de Bourguiba en matière d’émancipation de la femme. Les faits nous permettent d’en douter…
Il est utile de rappeler ici que cette enquête n’a pas pour objet ce qu’on appelle communément le fléau de la prostitution. De tous temps et sous tous les cieux, le plus vieux métier du monde n’a cessé de se développer et de prospérer latéralement à la misère humaine.
Ce qui nous intéresse à cette occasion, c’est bien la dualité ou dédoublement du langage officiel tunisien qui dit donner toute sa place aux femmes en même temps qu’il protège en plus haut lieu ceux qui les maltraitent et ceux qui s’enrichissent le plus indument du monde en se servant de leurs corps.
Jusqu’aux années 90, c’était un secret de polichinelle que des souteneurs sévissaient sur les places publiques des grandes villes (la capitale et les villes touristiques). Ils avaient des rapports entretenus avec la police qui, elle-même, s’engraissait en obtenant des "maquereaux" informations et subsides. Après tout, la Tunisie n’est pas en marge de ce qui se passait un peu partout dans le monde. Mais c’est l’arrivée de la mafia au pouvoir la consolidation du clan des Trabelsi et sa cupidité alarmante qui ont changé la donne.
Au printemps 2004, j’étais chez moi aux environs de 22 heures lorsque le téléphonne sonna et que j’eus droit à un flot d’insultes. La bête qui parlait dans un langage quasiment inaudible au bout du fil (et pour cause, il était ivre mort), et qui a fini par se présenter n’était autre que Imed Trabelsi, le fils caché de la Première "Drame" de Tunisie. Ses menaces brandies contre celui qui "publie de fausses informations sur lui" (c’est l’honneur atteint d’un petit bandit issu des bidonvilles les plus mal fâmés de la capitale auquel un mariage a octroyé honneur et respectabilité), notre interlocuteur finit de déverser sa bave fétide en me disant ; "j’ai toutes les femmes et les filles de Tunisie sous ma botte". Tiens donc !!!
J’appris quelques semaines plus tard que plus d’un homme a eu maille à partir avec ce petit voyou. Dès qu’une belle femme accompagnée d’un mari, d’un fiancé, d’un frère s’installe dans un lieu public et que le hasard place le couple face à Imed Trabelsi, ce dernier l’importune et insiste pour qu’elle s’asseoie auprès de lui. Et gare à celui ou celle qui refuse un caprice au rejeton de Madame…
Cette parenthèse fermée, il n’est donc pas étonnant que le marché de la prostitution autrefois plus ou moins "réglementé" tombe entre les mains de Imed Trabelsi qui donne ses ordres à "sa" police protectrice et à ses troupes bien rôdées. Car ce qui est nouveau dans ce marché de la prostitution, c’est l’arrivée de filles mineures (15 à 18 ans), mises sur le trottoir et dans les halls de luxueux hotels à peine sorties de l’enfance. Pour s’en mettre plein les poches, les ripoux ne reculent devant rien. La chair fraîche est un commerce comme un autre. Alors qu’à cela ne tienne, et peu importe si des familles entières sont déchirées ou si l’avenir de la jeune adolescente est compromis à vie.
Mais ce n’est pas tant cet apprenti-maquereau qu’est Imed Trabelsi qui nous importe ici. Ce voyou de la pire engeance rendra des comptes à la justice un jour ou l’autre. C’est le silence complice du président de la République, un homme réputé aux longues oreilles, qui entend tout et qui sait tout.
Comment peut-il permettre au fils de son épouse, Imed Trabelsi, et à son neveu, Kaïs Ben Ali, rejeton de Slah Ben Ali, de se départager le marché de la prostitution en zones de chalandises ? Quel impact peuvent avoir ses pratiques plus que contestables sur ses propres discours lénifiants concernant la place et le rôle de la femme tunisienne dans la société et par rapport à la condition de la femme arabe ?
Si, pour notre part, nous ne sommes pas à une tartufferie près de Ben Ali, la société excédée par autant de pratiques répugnantes de la famille régnante, n’est pas près de continuer d’accepter que des adolescentes deviennent les prisonnières d’un système qui n’a plus à envier au thailandais ou au philippin en matière de prostitution.
À savoir qu’une mafia excessivement sauvage dispose des corps de jeunes filles en couche-culottes. Voilà le triste legs du système Ben Ali-Tabelsi. Et dire que notre comploteur-président se dit encore et toujours le digne héritier de Bourguiba en matière de statut des femmes… Alors que plus d’une mère de famille doit gémir et hurler en silence : "Réveille-toi Bourguiba, tes héritiers sont devenus fous" !!!
Oui, mais il ne faut pas toutprendre au pied de la lettre. Je respecte ce site pour son travail d’opposition mais je ne pense pas que es articles soient d’une parfaite objectivité.
Sur le fond, je trouve que le propos et les proportions que vous décrivez sont plus éxagérés que la réalité même si je ne nie pas ce phénomène. Il est évident qu’il y a un comportement répugnant de la part de la famille de la femme du président pour lequels je n’éprouve aucune sympathie.
Simplement, je découvre votre site et j’ai lu votre article où vous comparez Bn Ali et Pinochet et Je pense que vous gagneriez à être moins emphatiques.
Je crois que c’est bien qu’il y ait des gens qui prennent des initiatives et mettenten ligne ce type de site. Bon courage !