Auteur, entre autres, d’un ouvrage sur les pesticides, Fabrice Nicolino tient un blog sans concessions sur l’environnement, Planète sans visa.
On peut croire au Père Noël, mais en ce cas, se rappeler qu’il est une ordure. L’exemple de l’atrazine, herbicide du maïs, laisse en effet tout songeur. En France, ce pesticide a longtemps fait le bonheur des marchands et des coopératives agricoles. L’une de ces dernières, la très puissante Uncaa, assurait régulièrement qu’il n’était pas « plus dangereux que du sel de cuisine ». De son côté, le petit syndicat agricole teigneux – et de droite –, la Coordination rurale, dénonçait chaque semaine une « propagande digne des pires régimes totalitaires » contre son petit chéri chimique.
Les écologistes de terrain et certains spécialistes attaquaient, eux, un toxique redoutable, cancérogène, dangereux pour les fœtus, polluant gravement un grand nombre de nos rivières et de nos nappes phréatiques. En 2001, l’affaire est entendue et le ministère de l’Agriculture annonce une interdiction qui ne sera effective qu’en juin 2003. Tête des industriels de l’UIPP [1], qui déclarent alors : « C’est un avis regrettable et lourd de conséquences pour la protection des plantes et les maïsiculteurs ».
Interdit, pour finir, dans toute l’Union européenne, l’atrazine continue pourtant d’être l’un des herbicides les plus vendus au monde. Chaque année, les seuls États-Unis en balancent plus de 35 000 tonnes sur leurs belles cultures tracées au cordeau. Alors, dangereux ou pas, l’atrazine ? Après une série d’études inquiétantes – notamment celles du chercheur Tyrone Hayes de l’Université de Berkeley –, un nouvel article provoque un choc outre-Atlantique.
Publié dans la revue Annales de l’Académie nationale américaine des sciences, le papier révèle que l’atrazine provoque une sorte de castration chimique des grenouilles. 90% des mâles exposés à des concentrations d’atrazine, telles qu’on en trouve partout aux États-Unis, ont des organes de reproduction diminués et un taux de testostérone anormalement bas. En clair, ils ne peuvent plus se reproduire correctement. Surtout pas de rapprochement hâtif avec le déclin de milliers d’espèces d’amphibiens dans le monde entier. Surtout. Cela ferait du mal à l’industrie. Quoique. En France, l’interdiction de l’atrazine a dopé le marché des herbicides, qui a bondi de 11 % en 2004. Un mystère ? Pas du tout : l’atrazine était depuis des années tombé dans le domaine public et ne représentait plus beaucoup d’intérêt économique. Ses petits remplaçants, eux, coûtent en moyenne trois fois plus cher aux paysans. Sont-ils moins dangereux que l’atrazine, pour les grenouilles et peut-être… les humains ? Voyez plutôt avec le Père Noël.
[1] Union des industries de la protection des plantes