Un jeune garçon et une prostituée embarqués pour un voyage au-delà de l’horreur. Insoutenable et virtuose, un film en forme de piège, Prix de la mise en scène à Cannes.
- Et "Kinatay", ça vaut quoi ?
Avec "Antichrist", c’est la proposition de cinéma la plus radicale, la plus novatrice, la plus excitante de l’année.
Rien que cela ?
Oui, et beaucoup plus encore. Tu te souviens, la semaine dernière, nous devisions gaiement sur "L’Enfer". L’idée d’Henri-Georges Clouzot, c’était de donner à voir l’intérieur du cerveau malade de Serge Reggiani, rongé par la jalousie. Ici, même topo. Pendant 1h50, le cinéaste philippin Brillante Mendoza nous plonge dans l’exil mental de son héros, nous fait ressentir ses angoisses, sa peur grandissante, son horreur. Kinatay, qui signifie « massacre » en philippin, est plus qu’un film, c’est un thriller expérimental, une expérience physique limite, un trip hypnotique, poisseux et épuisant.
Oh, t’emballe pas. C’est quoi le pitch ?
Nous sommes à Manille, mégapole aux mille odeurs. C’est le grand jour pour Peping, étudiant en criminologie qui se marie. Pour faire vivre femme et enfant, il accepte une mission bien payée. Avec plusieurs hommes de main, il embarque une prostituée endettée dans un van pourri, destination un pavillon isolé de la banlieue de Manille. Mais bientôt, la violence explose, monstrueuse, cauchemardesque.
C’est Hostel, ton truc ?
L’exact contraire. Il y a bien sûr une séquence insupportable, le viol, le meurtre et le découpage à la machette du tapin, mais la violence de Kinatay n’est pas graphique, elle est psychologique. De l’horreur, on ne verra que quelques fragments, filmés comme un « snuff movie ». Des images insoutenables qui font écho à la séquence d’ouverture, virée bucolique dans les rues de Manille, où l’on assiste à l’abattage et au dépeçage d’un coq prêt à être vendu dans la rue. Lauréat du Prix de la mise en scène à Cannes, Brillante Mendoza construit son film comme le piège ultime, un peu comme Gaspar Noé avec "Irréversible" ou Michael Haneke avec "Funny Games".
Explique.
Avec de longs plans-séquences tournés en numérique, Mendoza cadre ou décadre Peping (dont le prénom évoque beaucoup Peeping Tom, « voyeur » en anglais), pas toujours net, souvent flou, simplement éclairé par les phares des autres voitures ou les lampadaires. Mendoza tourne quasiment en temps réel, dilate le temps. Le voyage s’éternise, la tension monte, amplifiée par la bande-son boostée d’infra-basses, tandis que, de temps à autre, la prostituée attachée entre les sièges, reprend connaissance. C’est un supplice pour les deux personnages et pour le spectateur qui se recroqueville dans son fauteuil de douleur. Si dans Serbis Mendoza nous faisait sentir l’urine et le sperme d’un ciné porno, il parvient ici à nous connecter directement avec le cerveau de Peping et nous inocule la terreur indicible qui le ronge. La fin sera inexorable, comme dans une tragédie antique, quasiment une délivrance. Et ce trajet aux enfers d’une trentaine de minutes restera dans l’histoire du cinéma.
Tu pousses pas un peu, là ?
Va vérifier toi-même si tu l’oses.
Conclusion ?
"Kinatay" est inspiré d’une histoire vraie.
hello M. Godin
oui, "c’est un supplice pour le spectateur". De violence, je le confesse, je n’en ai pas vu l’ombre. L’ouverture est magnifique, mais, outre la bande son insupportable (on m’a dit que le mixage n’était pas fini…), la loooooooooooooooongue traversée d’un tunnel par le van a eu raison de mes forces (la dilatation du temps à ce point, "ça devient gênant"). Dommage.
mon conseil : un film a voir à 10h du mat’, après avoir bu une bassine de café fort. Même si je balance entre le foutage de gueule intégral et la prétention à l’état pure, je vais faire cet effort.
bien à vous
S.