Notre bon chef de l’Etat occupe la quasi-intégralité du champ médiatique hexagonal. Ce coup de gueule de « Bakchich » décrypte ce « sale gosse et pervers qui connaît parfaitement les fixations idéologiques des uns et des autres » et qui , grâce à son omniprésence, s’est mué en bon fonds de commerce.
Récemment sorti en DVD, Au nom du peuple italien (1972) n’est pas seulement l’un des meilleurs films de l’immense Dino Risi, un fleuron acide de la comédie italienne des années soixante-dix, mais un pamphlet génial sur l’idéologie et les accommodements que l’on est prêt à faire lorsque nos œillères partisanes se referment sur la réalité. Dernière séquence du film : Ugo Tognazzi, petit juge épris de justice, vient d’épingler Vittorio Gassman, industriel véreux, valet du pouvoir et canaille incurable. Motif, le meurtre d’une jeune modèle. Mais l’homme découvre la preuve (le journal intime de la victime) qui innocente son cauchemar de toujours. Dilemme moral : que faire ? La séquence se déroule pendant une finale de coupe du monde de foot. Coup de sifflet final, des hordes de supporters avinés envahissent les rues et - vieux truc psychanalytique me direz-vous – notre petit juge se retrouve victime d’un transfert tous azimut : derrière le supporter de foot, le transsexuel, le fasciste et le criminel, Tognazzi ne voit qu’un seul et même visage, celui de son pire ennemi, et décide de jeter au feu le journal. Corrompu, arrogant et raciste, en bref synthèse humaine des maux de l’Italie de l’époque, Gassman tombe pour un crime qu’il n’a pas commis.
Pourquoi parler d’Au nom du peuple italien aujourd’hui et de cette séquence en particulier ? Parce que depuis mai dernier, j’ai l’impression de revivre en boucle la dernière séquence du film de Risi. Comme si nous habitions désormais une République étrangement bananière, une sorte de dictature douce centrée sur seul homme, ses conquêtes, ses coups de sang, sa famille, ses techniques, ses vacances, ses textos et ses gourmettes. Cet homme bien sûr, c’est Nicolas Sarkozy, qui occupe la quasi-intégralité du champ médiatique hexagonal. Son nom résonne partout, des comptoirs de bistrot aux couvertures des magazines, de la presse militante et/ou people (qui parfois copulent allègrement) aux blogs internet. Sans parler de la télévision (des dizaines de chaînes mais que de sarkoshows !), caisse de résonance phénoménale de la vie du président. Risque d’overdose ? Peu importe, le Matamore revient illico sous la forme de son propre antidote. Même nulle part, nous le voyons partout, comme le substitut fantasmatique et délirant d’une réalité que nous ne savons plus voir. Mais entendons-nous bien : chez nous, et c’est le plus curieux, aucune pression d’envergure sur les medias, aucune torture d’opposants politiques dans les coursives de l’Élysée, aucune raison apparente à cette obsession collective. Que passa ?
Sarkozy veut qu’on parle de lui, c’est son seul souci et sa victoire quotidienne. Il sait d’un même geste mobiliser ses fidèles et ses contempteurs, leur imposer son terrain jeu en balançant des grenades qu’il sait déjà dégoupillées : une pincée de Mai 68, un zeste de Shoah, une cuillère d’ADN et le Sarkoshow se met en branle via des tombereaux de réactions, d’éditos, de débats, de cris d’orfraie (ou d’adorateurs, ce qui revient au même) qui le prennent au sérieux. Père Freud et Père Fouettard en un seul corps : pour les premiers, il est ce gourou qui aura su enfin les guérir de vingt-cinq ans de totalitarisme rose (décomplexer, dit-on), pour les seconds, qui ne peuvent plus se tourner vers une gauche en lambeaux, il est une raison de vivre, une nouvelle identité. Plus que l’admiration, la haine qu’il provoque constitue l’un de ses meilleurs atouts. Etre pour ou contre, moins un programme qu’une façon de se définir. Déprimant, non ? Au fond, le fanfaron de l’Elysée produit du religieux, et donc de l’irrationnel, et attise les strabismes idéologiques dans lesquels nous pataugeons allègrement. Il est l’homme des totems et des tabous, ou plutôt celui qui les piétine avec gourmandise. Sale gosse et pervers qui connaît parfaitement les fixations idéologiques des uns et des autres, autrement dit leur talon d’Achille.
Mais si le Sarkothon a de beaux jours devant lui, c’est qu’il s’agit enfin (et peut-être surtout) d’une formidable co-production nationale. Il est l’un des veaux d’or les plus rentables que l’on ait jamais connu. Un fonds de commerce inouï sur lequel défenseurs et opposant prospèrent de concert, et intérêts bien compris. Alliance objective donc, parce que économique, pavant le chemin aux opportunistes de tous bords. Et l’on ne compte plus les dizaines de socio-experts, de militants foireux, de chapeliers et d’intellectuels mous qui ont émergé depuis et grâce à son élection ? Ce sont peut-être les seuls qui depuis neuf mois ont réussi à gagner vraiment plus.
Le remède est bien connu de tous les habitués des forums sur le net. En ce qui me concerne, je pense que le président a, dans les semaines précédentes, plusieurs fois atteint le point Godwin : (http://fr.wikipedia.org/wiki/Point_godwin)
Et donc, comme tout bon troll de forum, désormais il peut dire ce qu’il veut, au plus j’écoute d’une oreille, je ne m’énerve plus. Si seulement les médias avaient de bons modérateurs de discussion, on serait plus tranquilles.