« Le Conseil constitutionnel ayant retoqué l’article palliant l’absence d’expertise des aréonautes à l’apogée finale de leur relookage d’alvéoles artificielles, la loi n’est pas prête d’être ratifiée, et le ministre doit revoir sa copie. » Ayant beaucoup vécu, beaucoup lu, beaucoup écouté et beaucoup regardé la télévision, je ne désespère pas d’entendre un jour cette phrase sur les ondes, ou de la lire dans un journal.
Pourquoi ce pessimisme ? Parce que je suis un vieux ringard qui trouve encore moyen de s’offusquer quand le présentateur vedette de la 2 (un homme d’excellente réputation, orné de cravates d’une sobre élégance) s’obstine à dire « cent-z-euros » : je me dis alors qu’un taxi qui prend une rue en sens interdit commet une faute professionnelle grave, alors qu’un homme dont la profession consiste à s’exprimer en français peut impunément fabriquer des liaisons fantaisistes et les déverser dans les oreilles de millions d’innocents. Parce qu’il me semble indécent qu’après avoir dû tolérer « loin s’en faut » (qui ne veut rien dire du tout, et surtout pas : « il s’en faut de beaucoup »), nous sommes mis en demeure d’accepter le passage en force de « n’est pas prête de » lorsque l’expression « n’est pas près de » a pour sujet un mot féminin.
Parce qu’on ne rougit plus, même dans un écrit destiné au public, de confondre un participe passé et un infinitif (« j’ai aimer », ou « il se leva de table sans terminé son dessert »). Parce que des masculins notoires (alvéole, apogée, tentacule… mais aussi éloge et amiante !) changent de sexe sous l’effet d’une hormone funeste. Parce que dire : « Athéna est la déesse éponyme d’Athènes » est correct (elle lui donne son nom), tandis que « Victor Hugo parle de Notre-Dame de Paris dans le roman éponyme » ne l’est pas (ce n’est pas le roman qui donne son nom à l’église). Parce que « retoqué » ne figure dans aucun dictionnaire.
Mais surtout, parce que, justement, se gorger de « pas prête de », « retoquer », « éponyme » ou « expertise » (qui est de l’anglais… en voie de naturalisation) passe, désormais, pour le comble de l’élégance : le style journalistique se gonfle de cette avoine, et quand la plume a du mal à couler, quel bonheur de puiser dans ces pauvres vitamines qui procurent l’illusion d’être dans le ton, dans le coup, et, en un mot comme en cent, brillant ? Le dernier bibelot verbal à la mode, c’est « tacler » : quand on a dit « Ségolène a sèchement taclé Sarko » (ou l’inverse), on croit avoir tout dit. Oserais-je dire que cette métaphore sportive me fait penser à l’immortel : « Il l’a abattu en plein vol, comme un lapin ! » lancé à la face du monde et dans le feu de l’action par le pape de nos commentateurs sportifs ?
La première preuve de compétence (je vais me faire des amis …) reste un geste des deux mains, que l’on devrait enseigner au même titre que l’usage de Google et l’éthique professionnelle dans les écoles de journalisme. La main gauche ouvre le livre, la main droite tourne les pages, c’est facile, les mots sont dans l’ordre alphabétique, cela s’appelle : consulter un dictionnaire. Pour vérifier. Comme le reste : ne rien publier qui n’ait été vérifié. L’orthographe mérite cette précaution. Après vérification, il restera bien assez de fautes.
Vérifier aussi le sens des mots : « invalider » et « abroger » ne sont pas synonymes ; il faudrait réserver le terme de « polémique » à une dispute (à l’origine, par écrit seulement !) qui prend l’allure d’une guerre (et ne pas parler de polémique tous les quarts d’heure sur des futilités) ; « avoir propension à » signifie : « avoir tendance à », et non pas « avoir l’habitude de » ; « se risquer à » est différent de « risquer de ». « Impliquer » ne signifie pas « causer ». Je vous livre là les bourdes glanées en trois journaux télévisés, sur trois chaînes, un soir d’avril.
Ah ! avec quelle gourmandise ce jeune homme, planté devant le Palais Royal, face à la caméra, évoque l’article de loi « retoqué » ! Il est dans le coup, il parle la langue des rusés, des branchés, des finauds, comme la fameuse blonde qui, même quand on lui demande si elle veut un ou deux sucres, répond : « C’est clair ! ». Mais le fond du problème, c’est que l’usage systématique des stéréotypes, solution paresseuse, conforte une pensée stéréotypée. On se croit insolent, on est platement conformiste.
Attention, danger ! A force de présenter les usagers des transports en commun comme des « otages », on a accrédité l’idée que les grévistes étaient des pirates ou des terroristes. A force de dire qu’un discours politique « surfe sur la vague des mécontentements », on laisse entendre que la politique est futile comme un jeu de plage. Désormais, on accepte de dire « contreproductif » là où il faudrait, après avoir réfléchi, dire « injuste ». Jusqu’au jour où l’on laissera mourir les vieux malades, car rembourser leurs traitements serait « contreproductif » ; c’est déjà ce qu’on envisage de l’autre côté de la Manche. Telle est la force des mots. A surveiller comme le lait sur le feu…
Et pas un mot à propos de ’finaliser’, emprunté à l’Anglais via Taï-Wan, pourtant très à la mode… Je me permets de vous recommander cette page, intitulée ’récréation’ ; Merci à son auteur. http://aixtal.blogspot.com/2005/07/rcr-pourriss-vos-texte.html
Monsieur Buzinet, pourquoi ne pas proposer vos services à Backchich … ?
le pire : "LES UN AN" de Nicolas Sarkosy - entendu sur toutes les radios ces deux derniers jours.
Erreur commise par beaucoup de chroniqueurs connus et de journalistes "de grand talent" - N’ont-ils pas de supérieurs hiérarchiques pour leur rappeler que "UN" est la spécificité du singulier ?
A titre indicatif, définitions de "retoquer" avec des citations de Renard, Colette, Daudet… :
http://www.cnrtl.fr/definition/retoquer
Il semblerait donc que ce mot existe, et depuis quelques années déjà…