Boursier ! Nous t’avons choisi, toi, entre 1000 démunis qui ne nous méritent pas. Tu t’assiéras sur les bancs des écoles où nos enfants s’entraînent à tenir leurs rôles d’élites de la Nation…
Tu voudrais oublier la couleur de ta peau. Garder l’histoire de ta famille et tes croyances bien au chaud dans ton cœur. Ça ne regarde que toi, penses-tu. Tu voudrais n’être qu’un humain parmi les humains. Mettre ta force et ton intelligence à l’épreuve du monde, avec les autres, ceux qui, quels que soient les traits de leur visage, te ressemblent. Révolutionner la vie. L’émancipation, enfin.
Mais tu ne pourras jamais t’extraire de ton corps. Regarde-toi. Ta peau est sombre comme tes cheveux. Tu portes un nom qui vient d’ailleurs. Du pays de tes parents tu sais la langue, les épices, les histoires que les vieux radotent. Tu es natif d’Aubervilliers et tu ne connais que la France, la région parisienne, ton coin de banlieue. Tes épaules chaloupent quand tu traverses la dalle entre les tours. Pourtant, tu fais preuve de bonne volonté, presque de docilité. Tu portes ta casquette à l’endroit, même si tu détestes les casquettes. Dans tes paroles se mêlent quelques mots de verlan, juste ce qu’il faut pour que personne n’ignore d’où tu viens, surtout pas toi. Tu reçois une bourse de sixième échelon car nous hiérarchisons aussi les pauvres.
Tu crois ton destin tout tracé, tu ne rêves pas aux meilleures parts du gâteau. Un boulot serait déjà merveilleux pour toi, même précaire et mal payé. A la roue de la fortune, les miettes sont ton lot, c’est dans l’ordre des choses.
Mon ami, redresse la tête et tourne tes regards vers un avenir glorieux ! Car nous t’avons élu. Nous t’avons choisi, toi, entre mille démunis qui ne nous méritent pas. Tu t’assiéras à côté des nôtres, sur les bancs des écoles où nos enfants s’entraînent à tenir leurs rôles d’élites de la Nation. Tu deviendras notre alibi, le témoignage vivant que la République donne sa chance à celui qui prend la peine de la saisir, quelle que soit son origine sociale. Rassure-toi, tu préserveras ta différence. Par des signes infimes que tu sauras déchiffrer, nous te rappellerons sans cesse qui tu es. Pour que tu n’oublies pas ce que tu nous dois.
Tu n’es pas égoïste : le récit de ta vie, tu ne le garderas pas pour tes petits-enfants mais tu le raconteras dans tous les médias. Tu diras que pour toi, ça commençait pas terrible, que question rêve tu es parti de loin, mais qu’heureusement la République t’as ouvert les portes : celles qui se refermeront toujours plus sur les camarades que tu auras laissés derrière toi.
Et nous flatterons ton courage, les efforts que tu auras fourni pour sortir de ta condition ; ta détermination sera la preuve que, dans notre démocratie, quand on veut, on peut. Tu auras la reconnaissance, l’argent et, si tu te montres particulièrement servile, le jour viendra peut-être où notre Président te tapera sur l’épaule. Notre survie vaut bien ton élévation.
Pour que rien ne change, pour que soit éternellement justifiée notre mainmise sur les biens de la Terre, pour qu’à tout jamais se perpétue le système dont nous sommes les nantis, nous avons besoin de toi. Au risque de voir le niveau baisser, par ta faute.
En vous lisant, je comprends que vous voyez le quota comme une preuve de mauvaise foi (et que le premier commentateur a compris exactement le contraire, comme quoi…)
ça m’a toujours étonnée qu’on arrive à voir de la mauvaise foi dans les questions d’éducation. Est-ce qu’on peut sérieusement croire que quiconque aujourd’hui ne se préoccupe pas sincèrement de l’efficacité de notre système éducatif ? ça n’empêche pas de proposer des mesures ineptes, et celle-ci en est une, mais ça ne part pas d’une mauvaise intention ; pas la peine de se mettre la rate au court-bouillon sur le complot des élites ! c’est leur manque de sens pratique qui devrait vous inquiéter…
Mesure inepte, l’idée des quotas au concours ? à mon sens oui : allons, la logique du quota, poussée à son terme, ça donnerait des quotas de profs de français non francophones, tant qu’on y est… L’instauration d’un quota sous-entend que les gens qui en bénéficient n’ont pas le niveau. C’est bien avant le concours qu’il faut donner leur chance aux gens de se former, et aussi bien après, pour ceux qui n’ont pas eu ledit concours.
Mais toute cette réflexion, pertinente ou non, est d’ordre instrumental et non pas moral : traitons-nous les uns les autres de crétins, sur le sujet, mais pas de salauds, c’est ridicule. Et comme d’habitude, pour ce qui est d’être ridicule, notre Sarko donne l’exemple !