Une journaliste française se fait interdire l’entrée sur le territoire tunisien, un fait divers si banal que les médias français, à l’exception de Libération et du Monde, ne prennent plus la peine de s’en faire l’écho. Comme si nos confrères avaient fait leur la formule de Denis Jeambar, ancien patron de la rédaction de l’Express : “Mieux vaut Ben Ali que Ben Laden”. Heureusement “Reporters Sans Frontières” s’est fendu d’un communiqué, merci à eux.
Samedi 16 septembre, midi, mon sac enregistré, il ne me reste qu’à passer les douanes avant de m’envoler vers le pays de Ben Ali, surnommé “Bac moins trois” par ses sujets en raison d’études vite interrompues. À moi les vestiges de Carthage, les thés à la menthe du port de Sidi Bou Saïd, les déhanchés sur les plages de Djerba… Et à moi, bien sûr, les interviews de personnalités tunisiennes et les reportages dans la médina de Tunis. Confiante, je m’endors à bord du vol AF 2584.
« Il est 15 heures 30. La température à Tunis est de 29 degrés et le ciel nuageux. » Atterrissage en douceur. À travers le hublot, j’observe le personnel du fret s’affairer sous l’œil suspicieux des policiers tunisiens armés jusqu’aux dents, quand une voix aladdine m’interpelle. « Madame Labaye ? » m’interroge l’employé de l’aéroport tunisien affublé d’un de ces gilets de sécu jaune fluo. « Oui », je réponds une boule au fond de la gorge mais enchantée par le visage angélique de mon assaillant.
« Votre passeport » continue-t-il. Je lui remets, il me le rend poliment, baragouine en arabe avec son talkie-walkie et me demande de rester à ma place en attendant que les touristes aux regards inquisiteurs descendent de l’avion. Une fois seule, mon Aladdin me tend un billet retour vers Paris. Les gars du nettoyage entrent en scène. Une demi-heure plus tard un gradé grisonnant en uniforme bleu marine monte à bord. Jafar a remplacé Aladdin. Le pandore me prie de lui remettre à nouveau mon passeport. Je m’exécute sans moufter et croise les doigts pour qu’il me le rende. Ce qu’il fait peu de temps avant le décollage. Et voilà, sans que j’aie besoin de frotter ma lampe magique pour que Génie me vienne en aide, je repars pour Paris.
Au final, personne ne m’a donné d’explication. Pour les stewards d’Air France, pas de doute sur la raison de mon expulsion. Les méthodes de Ben Ali, ils connaissent. Au retour, ils m’ont demandé pour quel journal je travaillais. Ça a fait tilt, je travaille pour Bakchich, hebdomadaire satirique d’information sur l’Afrique et le Maghreb, je ne pouvais pas être autre chose qu’expulsée.… Je partais en voyage au pays des mille et un policiers, j’aurais du jouer les journalistes clandestines. Ce sera pour la prochaine fois.