1 A-PREVENIR LA GENESE DES RISQUES?
- 1-EVITER LES CHAMPS DE RISQUES
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- a) L'évitement total des pays à risque est assez dans l'air du temps, qu'il s'agisse des pays du Tiers Monde secoués par la crise des paiements, ou des nouveaux risques à l'Est ou ailleurs. Les Deux Grands semblent se désintéresser des pays trop instables en Afrique ou ailleurs; et beaucoup de banques et d'entreprises se désengagent aussi. Malheureusement le risque politique est aussi et surtout dans les pays de l'OCDE si on considère que la récession actuelle repose largement sur des pannes de système...
- b) La diversification, géographique et sectorielle, est un instrument classique d'évitement partiel et de couverture des risques : elle transpose au niveau de la gestion de portefeuille le problème d'évaluation du risque individuel.
- c) Les structures et stratégies flexibles dans le temps, organisées autour de projets considérés isolément pour leurs qualités propres ("Project Finance"sans recours à l'assureur public ou même au soutien des actionnaires), voire autour de l'entreprise virtuelle (virtual corporation).
Mais la flexibilité est plus facile à souhaiter qu'à organiser, qu'il s'agisse des unités adapées aux fluctuations du risque ou même du noyau stable destiné à leur servir de support. On ne connait guère d'exemples probants, y compris dans l'univers des associations momentanées et des coentreprises en participation. L'entreprise Terminator II, où les actifs se liquéfient pour reparaître aussitôt sous les formes appropriées aux dangers, est encore du domaine de la science-fiction managériale, sauf dans le secteur financier.
- d) Les champs sectoriels de risques
Certains secteurs d'activité sont nettement plus sensibles au risque politique : énergie, armement, services publics, finances, presse et communication etc...Très surveillés par les pouvoirs publics et par l'opinion dans les pays d'accueil, ils peuvent être évités si on veut le calme absolu. Ou faire l'objet d'une stratégie technique, juridique, financière et politique capable de "verrouiller" les accords passés.
- 2-DISSUADER LE FAUTEUR DE RISQUES
Conformément à la doctrine libérale, l'entreprise se déclare volontiers a-politique et même victime de la politique.
Mais il lui arrive fréquemment d'utiliser les instruments de la politique soit pour obtenir de l'Etat des avantages concrets qui semblent peu compatibles avec le libéralisme (marchés publics, protection, subventions et crédits bonifiés);
soit pour obtenir une règle du jeu politique favorable à un jeu économique "rationnel" (liberté des actes de management, libre concurrence, transparence, faible intervention des finances publiques).
Selon les observateurs de la corruption, la première catégorie d'intervenants se trouve principalement dans la construction et les travaux publics, l'ingénierie de grands ensembles, la promotion immobilière, les grandes surfaces commerciales, les opérations de bourse, la publicité, l'industrie pharmaceutique et la santé publique, les grands monopoles publics de l'énergie et des communications, les ventes d'armes, les exportations illégales... Ce qui fait -ou ferait?- un ensemble assez considérable de professionnels tentés de renoncer à la pureté de la concurrence dans un marché totalement libéré de l'influence de l'Etat.
La deuxième catégorie vise au contraire à obtenir le bénéfice de règles de droit claires et justes. Elle comprend bien entendu aussi des professionnels de la première catégorie, notamment ceux qui ont été supplantés par leurs confrères plus habiles ou plus généreux. La pression s'exerce alors soit pour la définition de telles règles (pression sur le pouvoir législatif ou règlementaire), soit pour leur application à des cas particuliers (recours auprès du pouvoir administratif et judiciaire).
Comment l'entreprise peut-elle dissuader l'Etat fauteur de risques ou encourager l'Etat créateur d'opportunités?
- a) La communication de puissance :
La menace de licenciement de personnel ou de fermeture d'usine, de non-transfert de technologie ou de capitaux, la pratique des ententes entre entreprises et du boycott d'un pays et, bien entendu les formes les plus agressives du lobbyisme qui peuvent aller jusqu'au soutien de mouvements d'opposition sont des instruments puissants.
Difficiles à manier quand on ne dispose pas de la force armée, celle du pays d'accueil (au Chili, Pinochet contre Allende) ou du pays d'origine (les canonnières du Yang-Tse-Kiang pour soutenir la vente d'opium dans la Chine de 1840).
Certains peuples se montrent peu sensibles à la menace (les Serbes de Bosnie? les Coréens? les Somaliens?) ou savent exploiter leur position de martyrs.
- b) La communication d'intérêt général : le lobbying et la communication institutionnelle.
Le lobbying anticipe les évolutions possibles d'une politique législative ou réglementaire et s'efforce de les infléchir par une communication appropriée en direction des décideurs publics sur les "issues", les problèmes et les solutions. Il commence par la fourniture d'informations, poursuit par l'argumentation, puis par la relance et la pression, et peut très bien déboucher sur la politique de puissance déjà évoquée ou sur la corruption.
Plus visible et d'ailleurs orientée sur l'opinion publique en général, la communication institutionnelle présente l'entreprise et pas seulement ses produits, ce qui est le rôle de la publicité, sous un jour favorable. Tout y passe : la qualité des techniques, l'effort de recherche, la formation des employés, le mécénat humanitaire et culturel, les rapports avec les collectivités locales, le respect de l'écologie et l'engagement civique pour la sauvegarde des valeurs (il s'agit, on l'aura compris, des seules valeurs spirituelles de la communauté d'accueil). Cette image favorable peut constituer un soutien dans les dialogues difficiles avec l'Etat.
La corruption se pratique beaucoup dans les pays du Sud, de l'Est et de l'Ouest et se raréfie au Pôle Nord, faute de présence humaine. Elle est ici une forme dérivée de l'impôt ou du "seigneuriage", là une panne de système, ailleurs un moyen de financer rapidement le pouvoir, le prestige et le confort des "nomenklatura".
Le rôle indispensable mais flou des intermédiaires et des services dans les relations d'échange, les facilités récentes de la circulation monétaire par comptes numérotés, l'argent de la drogue approvisionnent aisément les caisses noires.
Du côté des destinataires, les techniques traditionnelles de l'enveloppe, des petits cadeaux (les limousines de Brejnev), les week-ends luxueux des faiseurs d'opinion, les commissions occultes, les travaux dans la résidence personnelle sont relayées par des moyens plus sophistiqués. "Pantouflage" d'un fonctionnaire de contrôle, investissements ou achats dans une entreprise appartenant à sa famille, information d'initié procurant des profits boursiers...
L'imagination est illimitée et les sommes impliquées sont considérables. Une étude de la Banque Mondiale estime entre 80 et 150% du PNB national les avoirs détenus illégalement à l'étranger par les gouvernants corrompus des pays du Sud. Il;semble qu'on ignore le montant de la corruption dans les pays de l'OCDE.
La technique est ancienne et fort répandue. Mais:
- le transfert aux contribuables : sous forme de garantie gouvernementale du risque-crédit, de provision défiscalisée, d'aides exceptionnelles, de moratoires divers témoignant de la solidarité nationale envers les entreprises exportatrices ou envers les pays endettés etc...
Une formule plus ingénieuse que rassurante consiste à centraliser les mauvaises dettes dans des sociétés financières ou d'assurances captives, voire dans les Fonds de pension du personnel (technique Maxwell) ou dans des Fonds communs de créances mobilisés sur le marché. On combine ainsi les avantages fiscaux de la provision, le dégraissage des bilans de la maison-mère, l'appel aux ressources supplémentaires du marché boursier et, si nécessaire, la faillite de la société filiale. Comme dirait Raymond Devos, le bilan c'est ce qu'on dépose quand il n'y a plus rien à ramasser. |
- 3- LE TRANSFERT DU RISQUE DANS LE TEMPS
L'étalement dans le temps est sans doute le plus confortable car il porte sur des populations qui ne participent pas à la décision et ne subissent pas l'impact immédiat.
Cela peut se faire de diverses manières:
- le financement des réparations par un crédit à rembourser à long terme, notamment la dette publique ou encore par le flottement de la dette secondaire;
- les techniques du Plan Brady pourront vraisemblablement resservir, voire être transposées au niveau de la gestion d'entreprise. Elles consistent à transformer la dette impayée en participations (debt-equity swap), ou en autres dettes à taux plus faible garanties à long terme par le Trésor américain.
- la récupération partielle de la créance n'est pas exclue, même au delà du recours à l'assurance, car le débiteur reste soucieux de faire bonne figure sur les marchés financiers.
Il existe en outre un marché secondaire de la dette avec ou sans transformation en titres obligataires : les acquéreurs sont des financiers désireux d'investir à faible prix dans le pays débiteur.
Assez souvent ce sont des opérateurs locaux qui avaient su transférer des avoirs en devises (prélevés sur les anciens crédits?) et qui se font ainsi indirectement subventionner leurs investissements dans leur propre pays. Tout le monde y trouve son compte, sauf les contribuables du pays d'accueil ...et du pays d'origine de la créance impayée.
- le prélèvement sur l'épargne et le patrimoine existants, faisant ainsi perdre aux générations futures le bénéfice d'actifs accumulés (ex: Maxwell finançant ses pertes grâce au Fonds de pension de ses employés, la privatisation des entreprises nationales pour couvrir des dépenses de fonctionnement courant).
Pour certains pays débiteurs, la dilapidation ou l'absence d'entretien du patrimoine naturel (forêts amazoniennes?) est une version écologique de cette technique. La production de drogues est une autre manière de se payer sur le patrimoine sanitaire de l'humanité. Le chantage à l'absence d'entretien des installations à risques peut aussi devenir un instrument de négociation des dettes publiques dans les pays de l'Est.
-la création monétaire par la Banque Centrale ou par "les nouveaux instruments financiers" et les Junk Bonds; l'inflation organisée est un forme d'impôt sur l'avenir;
Dans la plupart de ces processus de transfert, le rôle essentiel n'appartient pas directement à l'entreprise mais à des acteurs d'intermédiation plus ou moins puissants : assureurs, banquiers, finances publiques d'un Etat, communauté internationale.
Cette couverture intégrale par les autres, dans le temps et dans l'espace, ne demande que l'indulgence des autorités du pays d'origine qui n'a jusqu'ici pas été refusée en dépit d' exemples malheureux. Ces véritables systèmes de sécurité sociale pour risque-pays peuvent pousser à l'irresponsabilité des opérateurs industriels et financiers qui seraient trop prompts à s'approprier le risque profitable et à socialiser le risque matérialisé. La couverture du risque politique est aussi une décision politique dans la mesure où elle implique un choix de société sur le destinataire final du dommage. |
4 D- EXPLOITER OU SUSCITER LE RISQUE:
Cette tactique présente quelques questions d'ordre éthique, ... les autres tactiques aussi)
1- EXPLOITER LE RISQUE A POSTERIORI:
Indépendamment des méthodes de couverture et de récupération, le dommage subi peut être valorisé de diverses manières. Sauf évidemment si les circonstances ont envenimé le contentieux, la défaillance du partenaire local peut apporter des avantages indirects:
- auprès de l'auteur du dommage, en obtenant des avantages connexes (par exemple une concession ou une part de marché) qui peuvent s'avérer plus rémunérateurs que la perte encourue. Certaines nationalisations (Suez, Indochine) ont suscité des reconversions fort honorables;
- auprès de concurrents moins bien armés pour supporter un risque commun (par ex. modification de conjoncture ou de fiscalité) et qui peuvent disparaître du marché au profit d'un acteur plus persévérant;
- l'expérience acquise peut s'avérer utile dans d'autres circonstances et dans d'autres pays ainsi que l'image de partenaire de bonne volonté.
D'une manière générale il faut bien rappeler que le risque est l'autre face de l'opportunité, l'un et l'autre suscitant le profit nécessaire aux entreprises. La difficulté, comme toujours en manière de stratégie et de calcul de rentabilité, consiste à envisager le cadre spatial et temporel approprié pour retrouver les équilibres souhaitables.
2- SUSCITER LE RISQUE?
Dans la vie politique, il est fréquent que des groupes sèment le désordre afin de susciter un ordre différent, ou en tout cas le leur; c'est le rôle des techniques "terroristes" et de commando. Ce fut la mission des SA de ROEHM dans l'Allemagne des années 30, récompensée on le sait par l'ingratitude hitlérienne de "la Nuit des longs couteaux".
D'autres groupes au contraire réparent de menus désordres auprès de la population afin de se faire accepter avant le bouleversement espéré des institutions. Les exemples ne manquent pas : associations de solidarité sociale "compagnons de route "du Parti Communiste, encadrement des jeunes des banlieues par les intégristes musulmans, solidarité mafieuse dans les villages siciliens.
Des techniques comparables ne sont pas inimaginables dans la vie des entreprises. En aidant Hitler, le patronat de la Ruhr a sans doute joué avec le feu : il a reçu le feu. Par contre, au Chili, l'intervention des sociétés minières américaines ne s'est pas trop mal terminée pour elles, ni même à terme pour la démocratie, en tous cas pour la démocratie de marché puisque le Chili est aujourd'hui devenu un "Jaguar", l'enfant prodigue de l'Amérique latine et de la Banque Mondiale.
A des niveaux plus modérés, on peut déstabiliser un marché ou un concurrent par des techniques bien connues : embargo, dumping, débauchage de personnel qualifié (par exemple un redoutable directeur des achats d'origine basque), communication mensongère et procès plus ou moins abusifs (par exemple contre un redoutable directeur des achats d'origine basque...). La détabilisation peut s'avérer plus redoutable qu'un dommage matériel direct car son impact est plus long et surtout il porte sur des biens immatériels de haute rentabilité (image de l'entreprise, moral du personnel, capacité d'organisation)
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