J’ai pour principe, comme je l’ai déjà écrit dans ces colonnes, de ne jamais répondre à une mise en cause de mes écrits étant entendu que plus le ton du droit de réponse frise l’hystérie et plus est évidente la preuve que le trait a touché là où cela fait le plus mal. Une fois n’étant pas coutume, j’aimerais tout de même revenir sur la pitoyable attaque dont j’ai fait l’objet la semaine dernière. Le consul (d’Algérie à Paris NDLR), inattendu expert en journalisme, critique littéraire, étymologiste, collectionneur de vieux dictionnaires, exégète en pensée néocoloniale, rédacteur en chef contrarié et prescripteur de lectures orthodoxes pour l’Algérie profonde (ouf !) m’a ainsi décoché plusieurs flèches à la fois nauséabondes et risibles mais c’est sans doute une question de niveau. Il n’aime pas ce que j’écris ? C’est son droit. Il livre ce qu’il croit être un scoop selon lequel je n’ai pas fait d’études de journalisme ? La belle affaire. À la rédaction de La Tribune Desfossés où je fais semblant de travailler, les deux tiers des journalistes sont dans le même cas. Le journalisme c’est cela : une multitude d’origines et de parcours. C’est d’ailleurs le label de la vie moderne. Ingénieur un jour, journaliste le lendemain, ou les deux à la fois la semaine d’après. Mais je conçois qu’il soit difficile de se débarrasser de la mentalité « parti unique façon années 1970 », c’est-à-dire chacun dans une case « ad vitam æternam » et surtout pas bouger ! Ah, ce bon vieux khéchinisme…
Cela étant, chaque charge a son intérêt et je tiens à m’attarder avec vous sur ce que j’estime être le passage le plus instructif de la réponse faite au blédard, heu… pardon, au « pseudo blédard ». Dans sa longue diatribe (trois colonnes soit une de plus que la chronique), l’énervé de la rue Bouret abat ce qu’il croit être un atout majeur : le blédard est un binational. Quel crime ! Voilà ce pauvre scribouillard discrédité. Cassé, cassé, comme dirait l’autre.
Première remarque et elle est de taille : j’ai toujours cru, peut-être naïvement, qu’une administration est tenue de respecter la confidentialité des renseignements qui lui sont fournis. Dans le cas présent, comment le consul a su que je possédais la double nationalité ? Tout simplement parce qu’aucun passeport algérien ne peut être délivré en France en l’absence d’une carte de séjour ou d’une carte d’identité française. Et pour avoir mon passeport algérien auquel je tiens - et pas simplement pour rentrer au bled - j’ai fourni une copie de ma carte d’identité française.
Pour dire les choses plus clairement, le consul, représentant de l’Etat algérien, a divulgué, dans le seul but d’étayer son argumentation accusatrice, une information censée être confidentielle et protégée par l’obligation de réserve de l’administration. « Djibouli eddossier dialou ! ». Confusion des prérogatives ou abus de position ? Cela étant précisé, cette salve fait pschitt car je n’ai aucune honte à avoir la double nationalité. Ce n’est pas cela en tous les cas qui va me forcer au silence. Comme des milliers d’Algériens vivant en France, j’ai été, comme le prévoit la loi républicaine, naturalisé au terme d’un (long) processus administratif transparent et souverain (dommage pour ceux qui aimeraient bien y interférer et décider qui de leurs concitoyens ont le droit de devenir Français…). Mieux : je revendique une naturalisation sans aucun piston ou favoritisme et, c’est important, sans aucune compromission.
Ainsi, le pseudo-chroniqueur est fier d’avoir signé, il y a plus d’un an, une chronique intitulée « la revanche de l’OAS ? » qui a fait beaucoup de bruit en France (et jusqu’au plus haut sommet de l’État) car elle fustigeait la fameuse loi sur les « bienfaits de la colonisation » quand, dans le même temps, le silence de l’Algérie officielle était, à ce sujet, encore assourdissant. Aujourd’hui, avoir la double nationalité n’expose pas à l’opprobre, du moins officiellement car dans la réalité les mentalités ont là aussi du mal à évoluer. Dire publiquement de quelqu’un que c’est un binational, ce n’est pas vraiment le traiter de harki ou de suppôt du colonialisme (quoique), mais c’est déjà instiller le doute sur sa probité et lui ôter toute légitimité à parler de l’Algérie. Grosse ficelle.
Car c’est là que réside l’hypocrisie générale. Nous savons tous qu’il existe des dizaines voire des centaines de milliers d’Algériens qui ont la double nationalité. Certains parce qu’ils sont nés en France ou/et d’un parent français. D’autres parce qu’ils ont été naturalisés ou enfin parce qu’ils n’ont jamais renoncé à la nationalité française après l’indépendance (hum, hum). Dans cet ensemble, il y a des Algériens connus ou inconnus, humbles ou puissants, sereins ou honteux, vivant en France ou en Algérie. De cela, on ne parle guère et pas simplement parce qu’il s’agit de vie privée. La double nationalité algéro-française est en effet encore un tabou. « Mes enfants sont installés en France. Ils ont la nationalité mais chut… » : Qui n’a jamais entendu ce genre de confession ? Tout ceci n’est qu’un début de réflexion à propos de la double nationalité. Je reviendrai sûrement sur le sujet car d’autres pistes méritent d’être explorées. En attendant, il faut que je soigne mon ego : un lecteur du Quotidien d’Oran ne veut plus me lire. Snif. C’est dur, même pour un pseudo-journaliste.
Post-scriptum qui n’a (presque) rien à voir : Il y a une semaine, mon journal a été envahi par près de 200 intermittents du spectacle qui protestent depuis plusieurs mois contre la réforme de leur régime d’assurance-chômage. Après avoir tenté d’investir les locaux proches de l’Agence France Presse puis ceux du Nouvel Observateur, ces manifestants ont occupé nos locaux durant trois heures avant d’être délogés par les CRS. Pourquoi avoir choisi La Tribune ? Parce que, ont affirmé les manifestants dans un communiqué, c’est là « où on échafaude les mesures et on fabrique l’ambiance mentale qui naturalise inégalités et violences sociales ». L’accusation est injuste mais je trouve cette phrase magnifique. De la pure dialectique néo-radicale. Mais bref, la conséquence de cette intrusion c’est que désormais les portes de notre immeuble sont fermées et l’accès sans badge est impossible. Fort d’une certaine expérience de terrain, j’ai proposé la mise en place d’un sas. « De quoi tu te mêles, t’es spécialiste ? T’as fais des études de sassologie ? », m’a-t-on méchamment répondu. Il y a des périodes comme ça, je vous jure…