Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Retour au consulat

Chronique du blédard / vendredi 5 mai 2006 par Akram Belkaïd
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

Métro Jaurès, 48, rue Bouret. One more time… Je m’y étais rendu en janvier dernier en espérant faire coup double. D’abord, légaliser une procuration pour une consœur algéroise et, ensuite, renouveler mon passeport délivré au même endroit cinq années auparavant. Au premier étage, ce fut bon pour la procuration, et heureusement puisque c’était la principale raison de mon déplacement (nom de code Taous). Au rez-de-chaussée, ce ne le fut pas pour le passeport. Trop de monde, trop longue attente en perspective.

Retour donc au consulat. Un jeudi ensoleillé, air frais, lumière scintillante. Bon augure. Le sas ne fonctionne pas. Heu… Pardon… Bien sûr qu’il fonctionne mais à sa manière puisque les deux portes se poussent normalement sans attendre que l’une se referme derrière soi pour que l’on puisse ouvrir l’autre comme dans une banque par exemple. Mais attention, aucune inquiétude car, désormais, je n’ignore plus l’existence d’autres « dispositifs de sécurité » tels que mentionnés par le très complet Rapport Annuel d’Activité du Consulat Général d’Algérie en France (RAACGAF) dont les lecteurs du Quotidien d’Oran ont pu prendre connaissance il y a plusieurs semaines.

Numéro de passage 136 et quelques regards compatissants

Il est dix heures trente. Le panneau lumineux de la salle d’attente affiche le chiffre 61. Sur le papier rose foncé qui m’est remis dûment tamponné avec la date du jour, c’est le « numéro d’ordre » 136 qui est inscrit. Soupir. Allons, chassons toute contrariété car Dieu est avec les patients. J’ai de la lecture et aucune obligation pour les heures à venir. Et puis, comme à chaque fois que je viens ici depuis près de dix ans, il finit toujours par se passer quelque chose. Inspection rapide. Rien de neuf au panneau d’affichage, le photomaton fonctionne, la photocopieuse aussi et on voit presque le reflet de son visage sur le sol.

Politologue, elle parle plusieurs langues non ?

Je m’installe sur l’un des sièges métalliques à proximité du grand écran Thomson où défilent les images sans son de Canal Algérie. À ma droite, il y a deux jeunes en survêtement et coiffure façon « jarhead » ou tête de bocal à la manière des soldats américains.
- Y’a toujours du monde ici, râle le premier.
- Attends, t’es pas venu l’été dernier, s’amuse le second. A ma gauche, il y a un homme, la cinquantaine, un sac à provisions placé entre ses genoux. Il en sort un paquet de petits palets bretons et me le tend. J’accepte de bon coeur. Sa voisine, une dame du même âge que lui, aussi. Tout en mâchant, elle lui demande son numéro (d’ordre).
- 90, répond-il.
- Moi, c’est 86.
- Je savais que vous étiez avant moi puisque je vous ai trouvée ici en arrivant.
- Moi, c’est le 136, dis-je sans qu’ils m’aient rien demandé.
- Je garde la place pour ma fille, elle est allée réviser ses cours. Elle va revenir dans une heure ou deux, ajoute-t-elle non sans m’avoir gratifié d’un regard désolé.
- Elle passe le bac ? lui demande-t-il.
- Non ! Elle est universitaire. Elle fait des langues. Elle parle l’anglais, l’espagnol et elle est en train d’apprendre le chinois. Le chinois c’est l’avenir. Il y en a même en Algérie.
- Ah, elle est politologue.
- … ?
- Oui, politologue : elle parle plusieurs langues non ?
- Oui, oui, c’est ça. Voici le programme. On attend que son numéro s’affiche. On va au guichet (6, 7, 8 ou 9). On donne ses documents. On va se rasseoir (à condition de retrouver un siège libre). On attend. On est appelé par le caissier. On paye. On va se rasseoir (à condition de…). On attend. On est appelé de nouveau (au guichet 1). On récupère son passeport et on peut s’en aller. Pour le moment, je n’en suis qu’à la première étape. Parfois le panneau d’affichage s’emballe, augmente de dix unités en dix minutes (frémissement de bonheur dans la salle) et soudain semble se figer à l’approche de l’heure du déjeuner (découragement).

Il faut craindre Dieu

Retour à la lecture. Mais voilà qu’une dispute éclate au guichet trois ou quatre. Elles sont deux femmes, particulièrement remontées sans que je saisisse vraiment pourquoi. C’est parti monzami !
- Aaaaaah ! hurle l’une.
- Ayez pitié ! demande l’autre. Les pompes funèbres nous attendent.
- Calmez-vous, exige le fonctionnaire.
- Aaaaaah ! poursuit la première en continuant à donner des coups du plat de sa main sur le comptoir en bois.
- Madame, s’il vous plaît, calmez-vous, implore le fonctionnaire vite rejoint par plusieurs de ses collègues.
- Je vous en prie, ayez pitié. On nous demande trop de papiers, insiste la moins énervée.
- Calmez-vous, insiste l’agent en essayant de mettre le plus de douceur dans sa voix. On va vous aider.
- Aaaaaah ! Y’en a maaaaaaaarre ! Dans la salle, en deux endroits différents, une petite fille et un bébé se mettent à pleurer en même temps. Un murmure réprobateur commence à enfler.
- Madame, calme-toi, lance un jeune de son siège. Approbation bruyante de la salle. Mauvaise idée car la dame fâchée se retourne.
- Silence ! nous ordonne-t-elle en hurlant. Silence tous comme vous êtes ! Dieu vous regarde ! Il faut craindre Dieu ! Silence crispé dans la salle. Personne ne rit. Ceux qui sont les plus près de la scène baissent la tête ou, décontenancés, regardent ailleurs. L’agent qui officiait à l’entrée à mon arrivée intervient avec autorité.
- Madame, vous n’avez pas honte ? Regardez, il y a des enfants qui pleurent à cause de vous ! C’est pas un asile, ici ! Allez, ça suffit, arrêtez votre cinoche. On vous a dit qu’on allait vous régler le problème. La dame se calme. La salle est groggy. Je décide de sortir. De l’air ! La sueur qui baigne mes paumes délaye l’encre de mes notes. Il est midi dix. A l’intérieur, le panneau affiche le chiffre 116. Je passe quelques coups de fil et suis du regard une belle berline noire qui entre dans le garage. Coups de fils terminés. Retour dans la salle. Lecture à peine troublée par deux ou trois autres incidents mineurs. Un fou ou un provocateur qui, son passeport à peine récupéré, annonce qu’il rentre au pays faire un sort à nos dirigeants, un vieux Kabyle qui râle contre les droits de chancellerie versés pour le passeport (60 euros !) sans oublier les inévitables et récurrentes tentatives de resquillage. Il est quatorze heures dix et je récupère enfin mon passeport. Quatre heures d’attente. Sur le panneau lumineux, c’est le chiffre 160 qui vient de s’inscrire. La prochaine fois, il faudra que je vous raconte l’agence d’Air Algérie, la préfecture ou le consulat de Jordanie.


BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte