Déserte la veille, la rue est prise d’assaut par des parents qui pressent le pas, pilotent des poussettes en se prenant pour Jacky Stewart ou portent des enfants dans leurs bras - à défaut de les traîner - en essayant de twister entre les crottes de chien matinales. Masse humaine compacte aux passages pour piétons, impatience des conducteurs aux visages bronzés mais déjà parisianisés car, oubliées, les vacances d’été. C’est bien sûr la rentrée des classes, l’un des plus agréables marronniers de l’année. Petite explication : un marronnier, dans le jargon journalistique, c’est un sujet qui revient de manière régulière mais pas toujours à date fixe. La rentrée scolaire, « dossier spécial impôts », « spécial retraite : optimisez votre Perp » ou encore « les prix de l’immobilier à Paris ».
Image habituelle : il y a des enfants qui pleurent. Petits bouts de chou qui vont découvrir la maternelle ou la première classe de cours élémentaire. Mais pourquoi ces larmes ? Peut-être parce que les longues heures avec les parents - harassés - sont terminées. Peut-être, est-ce aussi une prémonition : une rentrée, puis une autre, encore une autre, des autres, des années de galère, de devoirs à faire le soir, de parents à convaincre que « ça marche bien à l’école », de mauvaises notes à masquer, de bonnes à rentabiliser, de carnets de correspondance à faire signer (faux, usage de faux…). De - trop - rares bons profs qui auront du mal à faire oublier les mauvais. En rang, deux par deux et en silence. Attention, compositions - utilise-t-on encore ce mot, je ne sais pas. Cahier de classe, cahier de roulement, tableau d’honneur, félicitations, blâme.
Un gamin se roule par terre, sa mère est désemparée. Une autre, sentant le sien faiblir, en profite. « Je suis fière de mon bébé, toi au moins tu ne pleures pas. C’est bien d’être courageux ». Il y a aussi des parents qui n’en mènent pas large, figure blanche, mâchoires serrées, oeil humide. « Fais bien attention à ne pas perdre ton doudou », dit un père à son fils en salopette rouge. Le bambin tient à la main une girafe Sophie - vous savez, celle de ‘Trois hommes et un couffin’, jouet français môsieur. « Et ne laisse personne la mordiller », ajoute la mère, pâle comme la neige car, justement, elle fait aussi partie de la catégorie des « je prendrai mon petit-déjeuner après. Je ne peux rien avaler ».
Il y a quelque chose de trop bien réglé dans ces rentrées. Prenez les fournitures. Leur liste est envoyée par l’école début juillet et elles sont mises en rayons dans les grandes surfaces quinze jours plus tard. L’ordre. Rien à voir avec nos rentrées où la liste de fournitures n’était dictée que le premier jour de classe. « Khouchaybatte wa qourayssatte », bûchettes et jetons qui ne servaient à rien, papier gommé, utile quelquefois. Cahiers 32, 48 ou 96 pages, protège-cahier bleu marine et pas bleu ciel ! Les livres à couvrir. Supplice. Mais avant cela, la bagarre chez le libraire. Dix, vingt, trente gosses déchaînés. Le commerçant en nage, liste entre les lèvres, qui monte et descend de son escabeau. Un rouleau de plastique vert, une boîte de craie, un rapporteur. « Travaux pratiques, grand format, petits carreaux, y’en a plus, makkach ! ». La rentrée, misère des petits salaires.
Flash-back : Koléa, année 1970. Un « instituteur » irakien. Premier jour, premières raclées distribuées au hasard, histoire de bien impressionner cinquante gamins aux cheveux tondus. « Vous la voyez cette règle en fer ? Eh bien avant la fin de l’année, elle se cassera sur la tête de l’un d’entre-vous. Il faudra tout apprendre par cœur, sinon, doigts réunis en poire et dix coups. Mon accent te fait rire toi, le grand dadais du fond. Viens ici, je vais t’apprendre le respect que l’on me doit, moi l’Arabe, le vrai. Toi, oui toi, surveille tes camarades en mon absence. Celui qui parle, tu inscrits son nom sur le tableau. » Le faire ? Raclée garantie à la sortie. Ne rien inscrire ? La règle siffle et, souvent, fait saigner. La terreur, la violence et la délation : inoubliable pédagogie.
Retour à aujourd’hui. On penche l’oreille et on entend un père dire à sa petite fille : « Tu sais, quand on grandit, la vie est dure. Bien étudier à l’école, ça ne fait pas de gros miracles mais ça la rend juste un peu moins dure ». La gamine reste silencieuse quelques secondes puis réplique. « Les miracles, c’est comme Moïse ? Dans Stuart Little, Snowbell dit qu’il ne peut pas réparer la voiture de Stuart parce qu’il n’est pas Moïse. » Le père, un peu décontenancé - sûrement dépité de voir que sa recommandation solennelle n’a provoqué que cette simple référence « dévédétographique » -, insiste encore. « Bien apprendre, écouter la maîtresse quand elle explique quelque chose, ça va t’aider à grandir ». Nouvelle moue de la gamine, nouvelle réplique. « De toutes les façons, Margallo a dit à Stuart Little ‘sens-toi grand et tu seras grand’ ». Abandon du père par knock-out. Ce n’est qu’un début, mon gars. Il faut s’accrocher.
Ouvrons juste une parenthèse. Little Stuart, pour ceux qui ont raté ce chef-d’œuvre, c’est l’histoire (second opus) d’un méchant faucon qui oblige un canari (ladite Margallo) à voler une bague dans une famille d’humains - les Stuart - ayant pour enfant adoptif une souris (Stuart Little) et pour animal domestique un chat snobinard (Snowbell). Fin de la parenthèse.
Le père aurait pu énoncer un autre commandement : « Ma fille, il faut étudier, même un peu, comme ça au moins tu ne ressembleras pas à Doc Gyneco ». Doc Gyneco ? Mais vous savez bien, c’est ce rappeur de pacotille qui a commencé sa carrière en insultant les femmes et qui vient de se laisser séduire par Sarkozy. But de la manœuvre du nouvel encarté à l’UMP : donner une nouvelle vie à une carrière en chute libre et, au besoin, aider Sarko à attirer le vote des « jeunes de quartier » au second tour de la présidentielle. Faut-il croire qu’il s’agit aussi de l’amorce d’une future légalisation du cannabis ? Je plaisante mais, pourtant, en matière de feuille à rouler, « le Doc » est, paraît-il, un expert… Mais bref, cette chronique était destinée à la rentrée scolaire et aux marronniers. Remarquez, Sarkozy, ses amours, ses emm…, son ambition, ça aussi, c’est un marronnier permanent. Mais nous avons le temps d’en reparler d’ici le printemps prochain. Bonne rentrée et que les cancres ne s’en fassent pas trop. Les études, ça aide, mais juste un peu.
article paru dans le Quotidien d’Oran du 8 septembre