C’est l’été et comme tout journal digne de ce nom, Bakchich propose une petite série estivale. Las, les riches, la jet-set, etc…ont déjà tous été pris par nos glorieux confrères chaque année novateur. Du coup, on s’est borné à de passionnants métiers. Première virée avec un voiturier.
Chaque soir, Adel [1] doit ruser pour placer le pactole mobile que lui confient les clients. Chaque soir une kyrielle de bolides de fortune passe entre ses mains. Pimpant, tiré à quatre épingles, d’une courtoisie paroxysmique, son métier de voiturier exige de lui un accueil irréprochable mais aussi une débrouillardise à toute épreuve.
Planté devant un restaurant chic niché autour de la place du Maréchal Juin dans le 17e arrondissement de la capitale, il gère le flux discontinu de clients motorisés. Ouverture élégante des portières, premier contact souriant, échange de quelques mots plus ou moins convenus avant de récupérer les clés. C’est là qu’en coulisse, l’aventure commence vraiment. Pendant que les clients palabrent et festoient autour de copieuses agapes sous les ors d’un temple culinaire, Adel s’active et entame une âpre guerre des places dont il connaît si bien les ficelles. Agé de la trentaine, cela fait cinq ans qu’il vit de cette activité nocturne. Après avoir tenté sa chance dans le commerce, il a opté pour ce job « de requin » au grand air. Nombreux sont ceux à s’y essayer mais très peu durent dans ce métier éreintant. Pour se faire sa place dans la corporation, il faut jouer des coudes…
Débusquer des emplacements dans la jungle urbaine parisienne sans merci relève du défi permanent. « C’est le coté excitant de ce boulot », raconte-t-il avec un sourire de canaille. « Lorsqu’un client arrive, il faut immédiatement que je parvienne à placer sa voiture. C’est une mission ! ». Pour l’accomplir, Adel dispose de plusieurs « combines de renard », comme il dit non sans orgueil.
Quitte à braver les interdits et à esquiver les patrouilles des limiers du quartier. Avec son panneau rouge vermillon aux bordures dorées clinquantes sur lequel est inscrit en lettrines rococo « voiturier », il tente tant bien que mal de bloquer les quelques places disponibles devant le restaurant. Une pratique interdite et condamnable. S’il se fait épingler, le restaurant écope d’une amende le plus souvent salée qu’il transmet à la société de voituriers responsable. Toutefois, une poignée de restaurants de renom disposent de passe-droit et leurs voituriers sont « intouchables ». Vaille que vaille, cette astuce assure à peine le parking pour deux-trois carrosses. « Avec deux voitures, je bloque quatre places. Cela me laisse une marge de manœuvre et permet d’anticiper l’arrivée des prochains clients », explique-t-il avec malice alors que son pote barman lui livre discrètement un petit mojito « pour tenir ».
Les soirs de galère, il est contraint de garer « à la sauvage », autour d’un rond-point ou dans une venelle adjacente. Ingambe et vigilant il garde toujours un oeil de lynx sur ses voitures, prêt à bondir en cas de descente de police qui « en embarquent parfois une dizaine ». Chacune lui rapporte minimum dix euros, bien que le ticket stipule huit euros, il prétexte un manque de monnaie et grapille ainsi quelques deniers. Une bonne soirée lui rapporte trois cents euros cash rien que pour les voitures. Sans compter les petits services qu’ils proposent officieusement en supplément. Hormis la vente, dix euros, par-dessous le manteau de places aux riverains las de tourner en rond, il confie sans ambages qu’il est « un couteau suisse de services capable de satisfaire toutes commandes, même les plus extravagantes ». Dépannage de cigarettes authentiques ou aromatisées, de poudre à débauche ou encore taximan pour clients trop ivres pour rejoindre leur domicile. Autant de commandes imprévues qu’il sait satisfaire illico presto. Question pépète, ces combines sont indéniablement lucratives et lui permettent les bons mois de doubler son salaire, au risque de « perdre le contrôle du volant de la vie » . C’est lui même qui le dit. Gare au dérapage…
[1] le prénom a été modifié