Un enfant martyr s’éprend d’une jeune vampire. Glacial et poétique : un classique instantané.
La chronique ciné du mardi
Après la bluette Twilight et ses éphèbes aux dents longues, True Blood, la nouvelle série d’Alan Ball (Six feet under) sur le coming out de vampires redneck, et la reprise des Prédateurs avec le couple Deneuve-Bowie, rajeunis de 25 ans sans effets 3D, voici donc Morse, bête de festival venue de Suède. A l’origine, un best-seller du cru de John Ajvide Lindqvist, une histoire de vampires débarrassée du folklore gothique, située dans le Stockholm des années 80. Oskar, 12 ans, (sur)vit dans une banlieue glauque. Chétif, rêveur, timide, ce petit ange blond se fait régulièrement tabasser par les terreurs de son collège. Terrifié, il se renferme, s’imagine égorgeant ses bourreaux, s’invente des scénarios de vengeance infinis. Un soir, en bas de son immeuble, il fait la connaissance d’Eli, 12 ans également, une fillette au teint trop pâle qui ne semble pas souffrir de la morsure du froid et qui ne sort que la nuit. Une étrange amitié va se lier entre les deux enfants rejetés de tous, tandis que rode un serial killer qui saigne à blanc ses victimes.
Les vampires hantent le cinéma depuis la nuit des temps. En une centaine d’années, on aura tout vu : le vampire aristo, amoureux, karatéka, black, super-héros, cow-boy, gay (remember Polanski), wahrolien, punk… Aujourd’hui, un inconnu nous confronte à une créature de 12 ans pour une des plus belles morsures cinématographiques. Pas du tout fan du genre, Tomas Alfredson, 43 ans, est à l’origine un réalisateur de comédies. Chef de file de Killing Gänget, Monty Python nordiques, cet illustre inconnu en France a pour père une véritable icône suédoise, l’équivalent de Bourvil, et son frère n’est autre que le réalisateur des épisodes 2 et 3 du polar Millenium, qui doivent sortir d’ici Noël. Ici, son talent brut explose à chaque instant. La bande-son inquiétante à souhait, la durée des plans, souvent fixes, la façon d’ausculter les ténèbres, les visions grotesques (le corps prisonnier de la glace, dégagé à la tronçonneuse), le travail sur le hors champ (notamment lors du climax dément dans la piscine) : Tomas Alfredson fait de son film un cauchemar cotonneux, au parfum d’inquiétante étrangeté. Sans esbroufe et (quasiment) sans gore, il installe une atmosphère mortifère, claustro, d’une tristesse infinie, accentuée par la neige et le froid qui semblent glacer jusqu’à la pellicule. Si, formellement, Morse est déjà un classique du genre, c’est aussi beaucoup plus que cela. A la manière d’un Gus van Sant, Alfredson parvient à enregistrer 24 fois par seconde la fin de l’innocence. Oskar, dont les parents sont séparés, reste désespérément seul. Il erre dans un hiver sans fin. Comme Eli, c’est un freak, un exclu, et il doit se réfugier dans ses rêveries pour survivre (et si Eli n’était qu’une création de son imaginaire en surchauffe, c’est une des pistes du film). Quant à ce vampire qui prétend « avoir 12 ans depuis longtemps », elle mène une existence misérable, nourrie par son père comme un animal, condamnée à errer éternellement dans le corps d’une gamine, ravagée par la soif inextinguible qui lui dévore les tripes. Qui a dit que l’enfance était un vert paradis ?
Comme dans tout bon film de vampires, Morse évoque une sexualité pour le moins trouble. Un plan révèle brièvement le bas-ventre horriblement suturé d’Eli (dans le roman, il s’agit d’un petit garçon castré) tandis qu’Oskar semble légèrement extatique lors d’actes particulièrement violents. Bizarre ! Le conte initiatique se métamorphose alors en une belle et étrange histoire d’amour. « Etre soudainement sauvé par une main amie totalement inattendue, c’est ce que raconte mon histoire, une histoire d’amour avant tout », assure Tomas Alfredson. Avec L’Etrange histoire de Benjamin Button, c’est l’une des plus étonnantes vues depuis longtemps. Très malin, Tomas Alfredson a refusé de réaliser le remake US de son petit chef-d’œuvre glacial et romantique. C’est peu dire que l’on attend son prochain film.
« Morse », de Tomas Alfredson, avec Kare Hedebrant, Lina Leandersson
Sortie en salles depuis le 4 février.
’ffectivement, Morse, à l’heure du triomphe du mièvre Twillight, est incroyable. Le bonheur de l’amateur du film de genre, mais pas seulement. Et beau, mais beau…
bref.
juste une remarque :
cher Marc,
revoyez le film : êtes-vous absolument certain que le "compagnon" de notre petite vampire est son père ? Est-ce seulement l’hypothèse la plus excitante ? Fort heureusement, le film n’est jamais explicite sur ce point. Et le malaise n’en est que meilleur !
cordialement
S.
Comme son titre ne le laisse pas transparaître (l’original Let the Right One in, étant un hommage à une chanson de Morrissey), Morse est un des meilleurs films de vampire de la décennie. Bien plus novateur dans la réalisation, le propos et la photographie que l’indigeste mièvrerie hollywoodienne Twilight, le film de Tomas Alfredson est à mon sens à ranger aux côtés des Sagesse des crocodiles et autres the Addiction.
Porté par deux jeunes acteurs impressionnant de justesse, le film exhale une froideur rarement vu jusque-là, amplifié par les décors hivernaux.
24 copies du film ont échoués en terre française. Si vous devez aller voir un film ce mois-ci, n’hésitez pas !!
Une autre chronique du film est disponible ici (mais plus axé sur le mythe du vampire) :