"Il n’y a pas de gens inutiles, il n’y a que des gens nuisibles." Au fond, ils nous ressemblent…mais on les aime bien, "Les Estivants".
Au théâtre des Gémeaux à Sceaux, Eric Lacascade nous présente la pièce « les Estivants » de Maxime Gorki créée en janvier 2010 à Rennes. Cette mise en scène revigorante, tonique nous parle avec humour de ces « bossus de l’âme » tchekhoviens, ces gens en vacances de l’esprit qui s’asticotent pour trouver un sens à leurs vies. Les êtres humains, comme de petits insectes s’agitent dans tous les sens mais comme dit Maxime Gorki lui-même dans une de ces citations « Il n’y a pas de gens inutiles, il n’y a que des gens nuisibles ». Au fond, ils nous ressemblent…mais on les aime bien !
Une famille de petits bourgeois aisés représentant la classe sociale émergente avant la Révolution se retrouve chaque année dans le même lieu de villégiature au bord de la mer. Le chamboulement total s’installe lorsque le célèbre écrivain Chalimov les rejoint pour se reposer. L’émoi saisit toute la communauté ! Sa présence sert de révélateur à toutes les frustrations, les amours déçus, les ressentiments les cerveaux se mettent à fumer pour philosopher sur la vie.. Chalimov, quant à lui, ne rêve qu’à une chose : être un homme comme les autres et reposer la bête.
Le metteur en scène choisit de donner à tous les personnages de la pièce la même importance, les fait agir comme dans un chœur et nous secoue littéralement entre le rire et l’horreur. Il crée des petits univers délimitant les espaces de jeu et de pensée des personnages : des datchas comme des cabines de plage où les petits insectes s’affairent, déambulent fièrement d’un territoire à l’autre en claquant bien les portes pour marquer leur place dans cette micro-société. A l’arrivée de l’écrivain Chalimov, le troupeau paniqué s’agglomère dans une petite boite pour disserter sur leurs vies et finissent par s’engueuler !
Serrés comme des ovins, plaqués contre l’auge de l’intellectuel-penseur, mâchonnant chaque petite gouttelette de salive qu’il expurge, la marmite finit par exploser et l’écrivain Chalimov s’extirpe difficilement pour exprimer son ras-le-bol. On l’empêche d’être lui-même, on veut le forcer à s’apparenter à l’image des héros qu’il dépeint ! La boue putride finit par le rattraper ; il ne pourra pratiquer son « carpe-diem « salutaire ni être un homme comme les autres, draguer, boire, plaisanter !
Les stéréotypes sur les rapports hommes-femmes sont exacerbés par la mise en scène qui dépeint les hommes comme des cornichons en vadrouille tandis que les femmes, étendues sur leurs transats, évoquent leurs terribles désillusions. La tension s’exacerbe et les joutes et règlements de compte deviennent plus violents – tout le monde y va de son petit chamboulement ! La situation vire au rouge carmin avec la tentative de suicide mais rater sa vie est aussi difficile que rater sa mort… et le faux suicidé ne devient pas un héros, loin de là, contrairement à la pièce du même nom de Nicolaï Erdmann.
Cette pièce sur la médiocrité et la force de l’inertie, sur le sens de la vie et la solitude est interprétée avec beaucoup de vivacité et de conviction par l’ensemble des comédiens. Chaque personnage est si bien dessiné que le spectateur prend plaisir à imaginer leurs vies, leurs pensées, leurs comportements. On ressort de très bonne humeur de ce spectacle Il nous interpelle et nous secoue mais, allez, encore une dernière petite citation pour la route « Si vous parvenez à secouer le spectateur, je serai déjà très content » disait Maxime Gorki à un acteur en train de répéter une de ses pièces..
Où voir ce spectacle ?
jusqu’au 21 mars à Sceaux « les Gémeaux – Scène nationale » (Tel : 01 46 60 05 64)
du 14 au 16 avril : Théâtre national d’Aquitaine à Bordeaux
les 28 et 29 avril au Théâtre d’Evreux
avec : Grégoire Baujat, Jérome Bidaux, Jean Boissery, Arnaud Chéron, Christophe Grégoire, Stéphane E. Jais, Eric Lacascade, Christelle Legroux, Daria Lippi, Millaray Lobos Garcia, Marco Manchisi, Elisabetta Pogliani, Noémie Rosenblatt, Laure Werckmann
scénographie : Emmanuelle Clolus
costumes : Marguerite Bordat
lumières : Philippe Berthomé
son : Marc Bretonnière