"Le Journal" se saborde ! L’hebdomadaire francophone le plus connu se fait hara-kiri ! Rien n’est encore définitif mais, pour qui connaît Aboubakeur Jamaï, le directeur du Journal, c’est comme si c’était fait.
Vous connaissez l’histoire qui risque de nous priver du titre phare de la presse magazine francophone ? Au départ, un rapport sur le Polisario signé d’un centre d’analyse installé à Bruxelles. Au terme de quelques dizaines de pages, un brin ennuyeuses, l’étude conclut que le Front Polisario que l’on imaginait uniquement préoccupé de la « libération » du Sahara occidental, est en fait travaillé par les réseaux du terrorisme islamiste et que les Sahraouis, si on laisse faire, ne vont pas tarder à être les sous-traitants d’Al-Qaida dans la région. Ca vous étonne ? Au Journal, ça les a fait plutôt rigoler ce rapport qui caresse tellement bien la diplomatie marocaine dans le sens du poil. Pensez : ils croyaient combattre un mouvement indépendantiste soutenu par l’Algérie, et ils se retrouvent en face de terroristes de mèche avec Oussama ben Laden.
La tentation était forte de titrer sur le rapport « téléguidé » par Rabat. C’est ce qu’a fait le Journal. Mal lui en pris. Sur plainte du directeur de l’organisme belge, il a été condamné par deux fois à payer l’équivalent de 280 000 euros pour « diffamation ». Le genre d’amende dont un journal au Maroc ne se relève pas. Deuxième acte ou comment le « prince rouge » se transforme en chevalier blanc. On ne présente pas Moulay Hicham, le cousin germain du roi Mohammed VI : c’est un Alaouite, convaincu qu’il est de la race des seigneurs. Mais incontestablement l’homme est brillant. Sage comme une image, riche comme Crésus, avec des amitiés aux quatre coins de la planète. Evidemment, les deux cousins sont brouillés. Pour de bon. L’un voudrait être calife à la place du calife. L’autre ne supporte pas le cousin qui lui fait de l’ombre. Sur fond de guéguerre, Moulay Hicham a eu une idée de génie : payer l’amende infligée au Journal. Pour lui, c’est peanuts. Et il cisèle son image de prince « défenseur de la liberté de la presse que son royal cousin foule aux pieds ». Bravo l’artiste.
Tout ça était bien calculé sauf que le directeur du Journal - troisième acte - n’a pas joué le jeu. « Bob », comme l’appellent la dizaine de journalistes du news magazine, a décidé tout seul que les choses iront jusqu’à leur terme Le Journal dût-il disparaître. Le Palais royal veut la peau de l’hebdomadaire coupable de systématiquement critiquer le régime ? Ils ont laissé la justice - rendue au nom de Mohammed VI - lui coller une amende qui le condamne à mort ? Parfait, le Journal va donc mourir. Aux yeux de l’Histoire, le Palais sera tenu pour responsable, a décrété le directeur du Journal. C’est beau comme de l’antique. Mais ça s’appelle de l’entêtement. Et on ne voit pas très bien qui va sortir gagnant de l’épreuve. Sans doute personne. L’image de Mohammed VI - vous vous souvenez « le roi des pauvres », « l’homme de la génération Internet »… - est encore un peu plus écornée. Le Journal tombe du bon côté. En martyr. Sacrifié sur l’autel des atteintes à la liberté de la presse. Mais demain on l’aura oublié. Restent les lecteurs. Les cocus de l’affaire en fin de compte.