Exaspération

Il serait par trop facile, en dépit de la floraison d’ouvrages sur le sujet, de comparer mai 2008 à son papa quadragénaire de mai 1968. Trop facile… mais tentant, en raison d’un évident point commun : l’exaspération. A ceci près que, à quarante ans de distance, cette exaspération ne plonge pas ses racines dans le même terreau.

En 1968, fût-elle (déjà, toujours) très inégalement répartie, la prospérité régnait. Le chômage, en gros, ne frappait que ceux qui le voulaient bien : cent mille à peu près. L’ANPE, créée l’année précédente par Jacques Chirac secrétaire d’Etat à l’emploi, n’épuisait pas ses collaborateurs. Le rêve…

Alors, le peuple réclamait des jeux plutôt que du pain ; il voulait vivre, se libérer des entraves moralisantes de dix années de gaullisme bien-pensant incarné par Tante Yvonne, l’épouse du Général ; le peuple voulait s’« éclater », comme on ne disait pas encore. Le peuple était gourmand de libertés. La jeunesse étudiante donna le signal. Les grands adultes durent suivre le mouvement, y compris la CGT, bien qu’elle n’ait jamais aimé le désordre.

Rien de comparable aujourd’hui, et pas seulement en France. Les grondements qui se font entendre un peu partout ne sont plus ceux du désir, mais de la peur. Peur de manquer, à commencer par ceux qui n’ont rien et qui craignent d’avoir moins que rien. Même ceux que l’on peut qualifier de nantis parce que, pour eux, la fin du mois ne commence pas le 20 s’inquiètent de leur vie quotidienne. Les denrées atteignent des prix, dont l’euro n’est pas seul responsable, qui font reculer le chaland devant les étals. Pour trop d’Hexagonaux, il ne s’agit plus de vivre, mais de survivre. Chaque jour, il faut « compter ».

Ce n’est pas noircir le tableau que de le dire. Des pauvres de plus en plus pauvres et des riches de plus en plus riches ; c’est ce que constate l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) dans un rapport remis le 29 avril dernier au gouvernement. Précisons que cet Observatoire est un organisme officiel créé par une loi du 29 juillet 1998 et non pas on ne sait quelle officine se donnant pour but de saper le moral de l’opinion.

Face à cela, les engagements et promesses du candidat se sont dissoutes dans la réalité dont l’élu a dû convenir. Benoît et provocant à la fois, il demande le 8 janvier aux journalistes qu’il a réunis s’ils veulent « qu’il vide des caisses qui sont déjà vides », feignant de l’avoir découvert, lui qui fut ministre des finances (mars-novembre 2004) et savait donc ce qu’il en était lorsqu’il promettait la lune. Les circonstances économiques n’ont rien arrangé. Aurait-il perdu la baraka ?