Yves Bertrand évoque à plusieurs reprises le cas de « l’ineffable » commissaire Marty-Vrayance qualifié entre autres de « maniaque de la conspiration ». Un jugement bien sévère porté sur un fonctionnaire qui fut longtemps le missi dominici favori du patron des RG et auquel il confiera nombre de missions ultra-sensibles. En particulier celle de retrouver Yvan Colonna dans le dos de ceux qui avaient été officiellement chargés de le faire par Nicolas Sarkozy… Depuis le commissaire Marty-Vrayance sent le souffre, il a d’ailleurs été révoqué de la police (pour une banale affaire de tricoche [1]). Christian Lambert l’ex-patron du Raid aujourd’hui à la tête des CRS, homme de confiance de Sarko, avait tenu à marquer de sa présence le conseil de discipline charger de statuer sur le sort de la brebis galeuse. Rien ne justifiait cette présence sauf la délivrance d’un message clair au conseil, pas de demi–mesure : « à la porte ».
Le récit et le portrait que dresse Yves Bertrand de la carrière de Marty –Vrayance (sorti « major de sa promotion ») est singulièrement amusant. « Je n’ai eu affaire qu’à lui 2 ou 3 fois, mais j’avoue que ce fut un cauchemar (…) spécimen le plus accompli de manipulateur – mythomane ».
Et Bertrand de rappeler que Marty commence ses « exploits » aux RG au Havre au milieu des années 80 dans le cadre de l’affaire Cons Boutboul en abreuvant les RG de notes fantaisistes entraînant les enquêteurs sur des pistes non seulement contradictoires mais dont « les liens avec l’affaire nous paraissaient chaque jour plus tenus… »
Pour décrire encore le travail de son subordonné « Bertrand écrit des bribes de corrélations du type « marabout, bout de ficelle, selle de cheval » à rendre fou les amateurs des films noirs les plus compliqués… »
Bref, on l’a bien compris que dès les années 80 Bertrand et la direction centrale des RG ont parfaitement identifié la nature du problème. Le commissaire Marty est un dangereux dingue.
Qu’on retrouve pourtant curieusement promu en 1988 en directeur des RG de la Nièvre ! Un poste presque aussi sensible que celui préfet de police de Paris puisqu’il s’agit du département, du fief, de François Mitterrand.
« Nous l’avions muté à Nevers, nous pensions que cette mise au vert lui ferait le plus grand bien », ose écrire sans rire Bertrand pour narrer l’épisode.
Inutile de disserter longuement sur le fait que la DCRG n’affecte pas à un tel poste un dingue « iso certifié » mais un fonctionnaire de toute confiance… Et à l’époque le commissaire Marty joui totalement de celle du patron des RG un certain Bertrand Yves …
Le commissaire Marty est d’ailleurs toujours en poste à Nevers en 1993 lorsque survient le décès tragique de Pierre Bérégovoy. Il mène à ce titre des investigations très poussées pour aboutir à l’intime conviction que l’ancien Premier ministre ne s’est pas suicidé …
Quoi qu’on puisse en penser des conclusions du commissaire, ses investigations passionnent au plus haut point alors le patron des RG. Lequel « lance » plusieurs journalistes de confiance sur les « lièvres » levés par Marty. Parmi eux, les circonstances du décès d’un célèbre photographe de presse James Andanson, par ailleurs proche de Bérégovoy.
« Tout, je dis bien tout, a démontré qu’il s’agissait d’un suicide », écrit aujourd’hui Yves Bertrand. Certains visiteurs du soir conservent toutefois un souvenir très net du patron des RG bien plus en en phase avec les « délires » de son directeur départemental.
Mais qu’importe… poursuivant la lecture de l’ouvrage, on découvre avec une certaine stupeur que les relations d’Yves Bertrand avec « le dingue » vont se poursuivre. Une petite dizaine d’année encore…
« Je plaide coupable », écrit Bertrand « le personnage avait tellement de talent qu’il est parvenu à m’abuser une dernière fois. Nous étions alors à la recherche des assassins du préfet Erignac un beau jour gorge profonde est venu me voir en prétendant l’avoir localisé au Venezuela (…) et je l’ai autorisé à effectuer un détour puisqu’il se trouvait à proximité de ce pays (…) je crois (…) en vacances. »
À se taper sur les cuisses !!!
La réalité n’est pas moins cocasse. Nous sommes en 2003.
Le commissaire des RG a quitté la Nièvre. Après un séjour au Gabon ; on le trouve au SGDN (secrétariat général de la défense nationale). Qu’y fait-il ? Il travaille en douce pour Yves Bertrand. Des missions discrètes qu’il ne faut pas ébruiter car le climat a changé. C’est Sarko le ministre de l’Intérieur et il a décidé de se passer des services de l’inoxydable Bertrand. Maintenu à la tête des RG par la seule volonté de Chirac, Yves est délesté des affaires sensibles et tout spécialement de la traque d’Yvan Colonna, la priorité politique de Sarko. Pire, c’est son adjoint, Bernard Squarcini, qui hérite de la responsabilité de l’enquête. Tenu à l’écart Bertrand ne rêve que d’une chose, couper l’herbe sous le pied à ses ennemis de l’intérieur.
C’est ainsi que le commissaire Marty-Vrayance se retrouve à Caracas. Hélas, non seulement Colonna n’est pas sous les tropiques, mais la mission est éventée. Pour l’ami Bertrand c’est fâcheux. En dépit des ordres reçus, il a engagé une enquête parallèle. Bertrand s’en tire avec un gros savon administré par Claude Guéant, mais pour « Gorge profonde » les jours au sein de la police nationale sont désormais comptés. Et d’autant plus que ce garçon, décidément doté d’une imagination extraordinairement fertile, nourrit des idées particulièrement iconoclastes sur la prise d’otage de la maternelle de Neuilly, en mai 1993. L’affaire « Human Bomb »…
[1] pour un fonctionnaire de police la tricoche consiste à faire un extra en monnayant des informations confidentielles (cartes grises, casier judiciaire) etc