Le 11 Septembre, encore. Impossible d’y échapper, impossible de ne pas raconter une nouvelle fois où l’on était « ce jour-là ». Impossible de ne pas entendre les uns et les autres nous dire où ils étaient « ce jour-là ». Impossible d’ignorer les documentaires, les reportages, les portraits de victimes ou de survivants, les volumineux dossiers de presse avec photographies inédites dont celles — insupportables — de ces hommes et femmes qui se sont jetés dans le vide pour échapper aux flammes.
Dans les pays occidentaux, on parle facilement de traumatisme. Ce n’est pas le mot que je préfère parce qu’ont existé et existent encore des violences dans d’autres pays et que, de celles-ci, on parle peu ou moins : Palestine, Rwanda, Liban, Darfour, Tchétchénie… la liste est longue. Mais traumatisme ou pas, il est évident que le 11 septembre 2001, plus que tout autre événement, nous a brutalement fait entrer dans le vingt-et-unième siècle.
Je vous parle souvent de la France, plus rarement des Etats-Unis si ce n’est pour vous en dire du mal au détour de quelques phrases lapidaires. Comme toujours, les choses sont moins simples qu’il n’y paraît. Le 12 septembre 2001, je n’aurai jamais signé un article avec pour titre « nous sommes tous Américains » parce qu’auparavant je n’avais jamais signé d’articles titrés comme suit : « nous sommes tous Bosniaques ou Rwandais ». Il m’est par contre arrivé d’écrire que nous étions tous Palestiniens, Sahraouis ou Libanais mais, en tant que Maghrébin, cela coulait de source, cela résultait d’un effort facile d’empathie pour l’Autre, victime d’où qu’elle soit dans un monde arabe dévasté par les injustices et l’arbitraire. « Nous sommes tous Américains »… Ceux qui ont répété cette phrase à l’envi en septembre 2001, ont, quelque part, insulté la mémoire de millions d’autres victimes anonymes. Pourquoi les morts du Worl Trade Center en 2001 et pas ceux de l’aéroport d’Alger en 1992 ?
Je continue de penser que nous ne sommes pas tous Américains mais cela ne m’empêche pas de dire que les Etats-Unis ne me laissent pas indifférent. De ce pays, il se dégage une force et une énergie dont le reste de la planète a vraiment besoin. Habituel phénomène d’admiration-répulsion, allez-vous me dire. Pas simplement. L’Amérique, en tant que pays et peuple, ce n’est pas le mal absolu. L’Amérique produit du bien et du positif. C’est une source d’intelligence permanente, d’innovation et d’optimisme. Sa littérature tient le haut du pavé quand tant d’auteurs européens se regardent écrire. Ses inventions modernisent le monde (que serait par exemple l’Internet sans le génie de la Silicon Valley). Oui, optimisme et énergie. Quand je lis dans le Wall Street Journal que de plus en plus d’Américains commencent leur journée à cinq heures du matin, uniquement pour avoir le temps « d’en faire plus », je reste à la fois songeur et admiratif.
Je n’ignore pas les réserves que tout le monde a en tête. Le rêve américain devient une chimère : justice au service des plus riches, prisons débordantes de Noirs et de Latinos, détresse des plus démunis, abandon des plus âgés, système politique gangrené par l’argent, abstention qui touche un électeur sur deux… Tout cela est connu sans oublier l’inconscience d’un peuple qui vit à crédit (aux dépens du reste de la planète), qui pollue trois fois plus que la moyenne et qui reste néanmoins convaincu que son pays a pour mission de faire le bien sur terre. C’est d’ailleurs sur ce levier que sait agir le gouvernement de George W. Bush pour vendre sa soupe et manipuler les esprits. La vraie culpabilité des Américains, ou plutôt des « Etatsuniens », c’est finalement leur ignorance de ce que fait réellement leur gouvernement à l’étranger.
Je ne sais pas vraiment si j’aime l’Amérique ou si cela ne relève que d’un sentiment d’admiration mais, ce qui par contre est sans ambiguïté, c’est bien la détestation que j’éprouve à l’égard du gouvernement actuel des Etats-Unis. Disons-le directement : George W. Bush est la pire chose qui soit arrivée à l’Humanité depuis plusieurs décennies et il faut prier l’Eternel pour que cette marionnette du mal ne déclenche pas d’autres catastrophes d’ici la fin de son mandat.
«
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Dans la dialectique de cette erreur de programmation, il y a beaucoup de choses insupportables mais il y en a une que je déteste par-dessus tout. A chaque fois que j’entends dire « guerre contre le terrorisme », j’ai envie de hurler. Guerre contre le terrorisme : cela ne veut rien dire et c’est le mot « guerre » qui me pose problème. Il sert d’abord à faire le lien entre la lutte — c’est le mot qu’il faut employer — contre le terrorisme et la guerre en Irak. Les deux choses n’ont absolument rien à voir et tous les efforts de Bush et ses compères visent à accréditer la thèse qu’aujourd’hui le monde est plus sûr grâce à l’invasion de l’Irak. Et, malheureusement, il existe encore des demeurés aux Etats-Unis, mais aussi en France (vous savez les idiots utiles qui ont soutenu Bush en mars 2003) pour croire à cette insanité.
Mais ce n’est pas tout. Le mot guerre est porteur d’exigence de renonciation. Avec lui, on peut tout exiger d’un peuple, y compris qu’on lui confisque sa liberté. La guerre est liberticide. Elle exige des sacrifices et n’offre, pour reprendre les mots de Churchill, que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur. « Nous sommes en guerre », ânonne Bush pour justifier Guantanamo, les prisons secrètes de la CIA, la torture, les écoutes de la NSA, les fichiers de bibliothèques que l’on dissèque pour détecter les lectures subversives, les vies privées que l’on fouille pour mieux contrôler ceux qui osent se rebeller ouvertement contre la propagande de la Maison-Blanche. C’est ainsi que les pires choses commencent. C’est ainsi que la nuit tombe. Pour longtemps.
Paru dans le Quotidien d’Oran du 15 septembre