Le 27 juin, Bruce Sprinsteen et son E-Street Band ont fait vibrer le Parc des Princes pendant plus de deux heures de concert. Du rock aux sons folk, l’artiste engagé n’a pas démérité les clameurs de la foule en délire. Chauffe Bruce, chauffe !
« One ! Two ! One-two-three-four ! ». Sous un ciel d’azur et une lumière diurne qui commence à peine à décliner, un grondement continu fait vibrer le béton du Parc des Princes et chanceler plus de quarante mille corps en totale dévotion. Ce n’est pas d’un match de football et de sa bronca habituelle de supporters dont il s’agit. Non, ce qui ébranle le stade parisien est plus fort, plus haut. C’est une messe particulière, unique en son genre. Voilà bien une heure qu’un flot de décibels irradie les tympans des masses de fidèles. Du rock, du vrai, comme on n’en fait plus guère. L’air est frais, la musique cogne, que demander de plus si ce n’est que la fête dure le plus longtemps possible.
Sur scène, Bruce Springsteen et son orchestre de (presque) toujours, le E-Street Band, en donnent pour son argent à un public d’aficionados qui n’auraient raté ce rendez-vous pour rien au monde. Dans les gradins, cela chante, applaudit, brandit un poing ou deux et se lève au fil des couplets ou des roulements de batteries. Dans le « pit », c’est-à-dire pratiquement aux pieds du chanteur, le noyau dur des fans ondule au gré des allées et venues de celui qui montre une nouvelle fois qu’il est bien le prophète de cette religion qu’est le rock’n’roll. Demain, à Copenhague ou à Barcelone, ils seront encore présents pour tenter de lui serrer les mains ou, à défaut, lui empoigner les mollets ou les chaussures.
Un journaliste américain a écrit un jour que Bruce Springsteen l’avait fait se sentir jeune. C’est toujours vrai. On reste confondu devant l’énergie qu’il déploie sur scène et l’on peine à croire qu’il a cinquante-sept ans. De la force, de la puissance dans la voix, une démarche chaloupée, épaules sorties, bras et avant-bras écartés, biscotos gonflés, guitare en bandoulière, harmonica cisaillante, celui que l’on appelle le « Boss » depuis ses débuts, est une bête de scène et se contenter de l’écouter chanter ne suffit pas. Il faut le voir communier avec son public pour se rendre compte à quel point l’homme est authentique. On est loin des gesticulations simiesques d’un Mick Jagger et de ses pierres atrophiées ; on est dans le vrai, dans le partage.
Comment dire autre chose lorsque l’on assiste à cette parade au-devant de la scène où, dans une marée de bras tendus, Springsteen accepte de ramasser quelques banderoles où sont inscrits les titres de certaines de ses chansons. Pour les initiés, cela s’appelle des « request », des demandes d’interprétation que le chanteur accepte d’exécuter au pied levé. Cette spontanéité -qui n’est guère simple à assumer car l’orchestre doit suivre- tranche avec l’aspect mécanique et hautement planifié des concerts d’autres artistes où tout est prévu d’avance, y compris les séquences émotions (celles où s’allument les téléphones portables en lieu et place des briquets d’antan). Là, il y a de la prise de risque, de l’inattendu et c’est tant mieux.
En voici une de « request ». Les premiers accords de « Fire », chanson jadis écrite pour Elvis, mettent le… feu (je sais, c’est facile mais impossible de faire autrement) dans les travées : « cause when we kiss, aaaah, fire »… Tout un programme. Et le pouls de la foule s’affole (encore désolé…) quand Springsteen chante le dernier couplet en duo avec le grand Clarence Clemons, géant noir qui fait parler son saxo tenor comme personne et dont la présence déclenche toujours d’immenses ovations. Que serait un concert de Springsteen sans la présence du « Big Man », qui du haut de ses soixante-six ans est le ministre de l’âme du E-Street Band ?
Le concert se poursuit. Soudain, quelques secondes de silence. Les spots s’éteignent, le temps suspend son vol, ni bruit, ni cri, ni sifflets tandis que la sono -un peu poussive, il faut le reconnaître- se tait aussi. Au sommet de l’une des grandes enceintes, le drapeau américain ne claque plus. Dans cet apaisement entre chien et loup, le Boss entame un solo au piano. « For you ». On regarde autour de soi, et comme lors du passage de « The river », on surprend quelques larmes vite essuyées et on devine des gorges qui se serrent. Qui pourra un jour expliquer ce bouleversement que peuvent provoquer quelques notes et une mélodie ?
Plus que d’autres chansons, « For you » recèle un lien invisible entre Springsteen et son public. Il n’est pas possible d’en dire plus : il faut en être pour comprendre. Car Springsteen est tout sauf un « beugleur » bien qu’il ait un jour (vocalement) ridiculisé Bono, la star alter-globalisée de U2, qui s’était mis en tête de chanter en duo avec lui.
L’homme est avant tout un poète dont les textes méritent le respect et l’admiration. Sa réflexion désabusée sur l’Amérique des années 1980 et 1990 qui nourrit son disque acoustique « The Ghost of Tom Joad » (Le fantôme de Tom Joad, du nom du héros du roman, Les raisins de la colère de John Steinbeck) le démontre. Et c’est parce que sa poésie est mise au service d’une éthique sans faille que Bruce Springsteen est grand.
Il existe de bons musiciens aux quatre coins de la planète mais rares sont ceux qui, comme lui, ont toujours été du bon côté. Celui du droit des humbles, des ouvriers, de ceux qui n’ont rien ou peu. Il faut l’entendre introduire sa chanson « Living in the future », pour saisir le sens de son engagement et de sa conscience politique. Quand il parle de cette Amérique qui piétine les libertés individuelles, qui triche et corrompt la Constitution, il réconcilie son peuple avec le reste du monde. Et l’on ne s’étonnera guère en apprenant que le Boss vient de faire savoir qu’il soutient Barack Obama pour la présidentielle de novembre prochain.
Le concert se termine. Voilà plus de deux heures trente que Bruce Springsteen chante et se démène. Près de trente chansons ont été offertes au public avec, en clôture, le jubilatoire « American Land » - hommage aux immigrants qui ont fait et font encore l’Amérique en ces temps où le Congrès cherche, comme partout ailleurs, à criminaliser l’immigration clandestine. C’est sur ces notes folks que les paquets humains quittent le Parc des Princes, l’oreille encore sifflante, le pas incertain mais la mine réjouie tandis que dans la nuit tombée résonnent encore les rugissements du Boss et les clameurs de ses disciples.
sans vexer personne, le meilleur de tous, c’était encore le premier (1981 ??) au palais des sports de saint ouen où les groupies évanouies étaient évacuées les unes après les autres dans les bras des gorilles du service d’ordre au bout de la 3éme chanson. Demandez à Gégé Depardieu, il y était..
Léon
"(tribune avec les vitres protégeant des lancers d’objets des supporters)"
Yeah ! Et les boules quies étaient fournies aussi ?
Aller un concert pour l’écouter derrière des vitres pour se plaindre ensuite…
Allez, encore une autre pour nous faire rigoler
Bruce for ever
J’ai lu les commentaires précédant et on ne devait pas être au même concert ? : j’étais placée tout au fond du Parc (et oui, 75€ aussi) et je ne suis pas à priori une fans mais c’était un concert de GEANT !!! (pour en avoir vu d’autres, notamment Police recemment) !!! Donc vive Bruce et bravo pour son vrai contact avec le public, il y en a peu qui soit aussi spontané et chaleureux, j’ai senti la foule vibrer aux sons des chansons cultes (mon cher et tendre est fan de chez fan donc je suis à la bonne école !)
A la sortie du concert, pour avoir discuté avec de nombreuses personnes, amateurs éclairées ou groupy qui le suivent de villes en villes et de pays en pays, il s’agissait d’un des meilleurs concerts français du Boss (dans un Stade - à priori, ça rend mieux au niveau de l’ambiance dans une salle). Pour avoir également fait le concert du Stade de France il y a quelques années, je confirme. Donc encore merci Bruce pour avoir donné autant d’émotions !!
Je vais essayer de le dire gentiment, mais même si la sono n’était pas au top, il faut être un peu beguele pour ne pas apprécié le concert du 27.
Essayer de trouver un chanteur qui loin du people (pas son fort) transmets autant de convictions politiques, citoyennes, depuis tant d’années.
J’avoue avoir aussi renoué avec mes jeunes années (La Courneuve, 19 ??). Mais j’ai commencé le concert assis comme un vrai bobo, et j’ai fini debout en chantant et dansant parce que Le Boss il n’y en a pas deux, et il sait vous prendre par les tripes et par le cœur.
merci à toi Bruce, pour tout.